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Marseille fait genre

[Marseille fait genre] Maryam Kaba, quand la danse répare les corps

Chronique
le 1 Mai 2025
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Dans cette chronique, Margaux Mazellier donne la parole aux féministes marseillaises. À travers des portraits intimes de militantes, activistes et citoyennes, elle explore la diversité des combats pour l’égalité à Marseille. Cette semaine, rencontre avec la danseuse et chorégraphe Maryam Kaba, qui a fait de son art un acte de résistance.

Maryam Kaba (Photo : Jean-Michel Melat Couhet)
Maryam Kaba (Photo : Jean-Michel Melat Couhet)

Maryam Kaba (Photo : Jean-Michel Melat Couhet)

Si vous étiez à la manifestation du 8 mars dernier, à l’occasion de la journée de lutte des droits des femmes, vous l’avez sûrement aperçue au milieu de la foule en train de faire danser les manifestantes. Maryam Kaba est danseuse, chorégraphe et militante. Et elle a fait de la danse un acte de résistance.

Un souvenir d’enfance

Bien avant que la danse ne devienne son langage, elle apprend très tôt à quel point son corps dérange. Maryam a grandi en région parisienne. Elle a sept ou huit ans lorsqu’elle participe à un stage de tennis à Fontenay-aux-Roses : “C’était un club un peu huppé. Un jour, je vais en maillot de bain au bar avec une copine. Je demande si je peux avoir un Nuts. Le patron, en rigolant avec les serveurs, me répond : « D’abord, tu vas aller mettre quelque chose sur ton dos, parce qu’on ne se balade pas comme ça, surtout quand on est noire comme toi. »”

Ce jour-là, Maryam devine, sans encore pouvoir mettre de mots dessus, que son corps de femme — et plus encore, de femme noire — dérange. Qu’il faut le cacher. “Même si j’ai été défendue ensuite par mes parents, je n’ai pas compris tout de suite qu’il s’agissait de racisme, je ne l’avais pas encore déconstruit. Mais j’ai compris que le corps noir, même celui d’un enfant, devait se cacher.” Elle ajoute : “Quelque chose est quand même né en moi ce jour-là : je me suis dit que je ne me laisserais plus jamais faire.”

Un point de bascule

C’est habitée par cette colère-là, enfouie, que Maryam poursuit sa route. Mais il lui faudra encore des années pour mettre des mots sur le sexisme et le racisme qu’elle subit depuis l’enfance. “Dans mon éducation, j’ai toujours été très protégée. Ma mère a toujours fait de notre métissage une force. Elle nous répétait sans cesse qu’en étant de deux cultures différentes, on était +2 par rapport aux autres“, explique-t-elle. Mais Maryam perçoit rapidement un décalage avec ce qui se passe dans la société.

C’est en arrivant au Brésil que les choses se cristallisent. Là-bas, elle prend conscience de la violence que subissent les personnes noires. “C’était une histoire différente, mais c’était aussi mon histoire. On dit souvent que le racisme au Brésil, c’est l’enfer. Mais c’est pareil chez nous. Il est juste hypocrite et caché. On essaye de nous faire croire qu’il n’y en a pas, qu’on est tous mélangés, alors que ce n’est pas le cas. Et j’en ai fait l’expérience très tôt.”

C’est à ce moment-là qu’elle met le doigt sur ce qu’elle appelle le “racisme sourd“, qu’elle a toujours vécu sans pouvoir le nommer. “Je ne voyais aucune femme noire à la télévision. La seule référence que j’avais, c’était Pépita [animatrice de jeux télé dans les années 1990 et 2000, ndlr], qui avait une ceinture de bananes et qu’on traitait de singe.” Et puis il y avait les blagues, les surnoms. “Quand j’étais jeune adulte, dans mon groupe de potes, mon surnom, c’était Bamboula. Et à l’époque, je ne voyais pas vraiment le problème — ou plutôt, je ne voulais pas le voir. C’était trop douloureux.”

Un lieu

Chaque dimanche matin, devant la Porte d’Orient à Marseille, une centaine de personnes — majoritairement des femmes — se rassemblent pour danser face à la mer, emportées par l’énergie et la voix de Maryam Kaba. Danser. C’est ainsi que Maryam a choisi de répliquer. Arrivée dans la ville en 2017 sans la connaître vraiment, elle s’y sent tout de suite bien et décide d’y ancrer son projet : développer Afrovibe, un concept de danse fitness inspiré des danses afro-descendantes, cofondé en 2011.

Au-delà de l’activité physique, ses cours ont un autre objectif : aider chacun, et surtout les femmes, à se réapproprier leur corps. Pour Maryam, danser, c’est résister. Résister aux injonctions, à toutes les formes de violences, aux stéréotypes qui pèsent sur les corps féminins. Même en pleine pandémie, les cours ont continué, comme une forme de désobéissance civile joyeuse : “On a continué à danser, parce que c’est aussi ça, résister“, dit-elle.

Dans ses cours, tous les corps sont les bienvenus. La seule règle : se laisser aller. Car pour Maryam, la danse est un espace de transformation, un lieu de guérison collective où l’on travaille autant le lâcher-prise que l’amour de soi. “Retrouver la joie d’habiter un corps qui, lorsqu’on est une femme, est sans cesse violenté“, résume-t-elle. Un geste à la fois simple et puissant : danser pour se retrouver, se célébrer, ensemble. D’autant plus fort qu’il s’inscrit dans l’espace public.

Un slogan

Militer par la joie. Mieux encore, pratiquer la joie collective. “En tant que femmes, nous avons aujourd’hui de nombreuses raisons d’être en colère. Cette colère-là est légitime. Lutter contre les discriminations par la joie, c’est une façon de transformer cette colère, de la rendre encore plus puissante.” Maryam rejette l’idée d’une joie naïve ou déconnectée. Elle préfère parler d’une joie “ultralucide“, une joie enracinée dans la réalité des luttes et des corps féminins. “Une joie consciente et réparatrice“, conclut-elle.

En juin 2024, dans le cadre de sa résidence au Ballet national de Marseille, elle coproduit avec l’autrice Marie Kock une pièce conçue pour et avec vingt femmes accompagnées par la Maison des femmes de Marseille, un lieu d’accueil pour les femmes victimes de violence. Intitulée Joie ultralucide, la pièce donne à voir des trajectoires intimes, portées à la fois par les mots et les corps, mais surtout, elle célèbre une joie “consciente, féroce, ultralucide” — une forme de résistance, de réappropriation du corps et de la parole. À partir de cette création, Maryam et Marie ont imaginé un protocole : un cadre de transmission pour rendre cette démarche exportable ailleurs, auprès d’autres groupes de femmes.

Car pour Maryam, une chose est sûre : “S’il y avait plus de joie dans nos mouvements de résistance, on toucherait plus de gens et surtout plus de jeunes.”

Commentaires

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  1. polipola polipola

    Queen Kaba <3

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