MARSEILLE : UN MARCHÉ MÉDITERRANÉEN (9)

LES MARCHÉS INFORMELS

Billet de blog
le 25 Avr 2025
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À Marseille, comme, sans doute, dans toutes les villes, mais peut-être y sont-ils un peu plus nombreux, les marchés informels constituent « l’autre marché », un marché sans reconnaissance ni légitimité, mais ils font, comme l’autre, partie de l’économie urbaine : ils en forment l’économie parallèle.

Marché à la sauvette à Noailles. (Photo : CS)
Marché à la sauvette à Noailles. (Photo : CS)

Marché à la sauvette à Noailles. (Photo : CS)

Qui sont les marchands « à la sauvette » ?

Les marchands « à la sauvette » n’ont pas d’étal, ils ne sont pas installés dans les marchés ordinaires, ils sont « l’autre marché », celui dans lequel on ne va pas, mais que l’on rencontre dans la rue. À Marseille comme dans toutes les villes, mais peut-être davantage, car ils font partie de « l’économie seconde », de « l’autre économie », ils n’ont pas de magasins, ils n’ont pas non plus de lieux fixes, mais ils sont des sortes de marchands nomades. Ils nous rappellent que le marché n’est pas forcément installé dans un endroit fixe. Même si c’est peut-être une sorte de hasard, le mot « marché » ressemble au mot « marche ». Ces deux mots ne sont pas issus de la même étymologie, leurs ancêtres lexicaux ne sont pas les mêmes, amis, tout de même, ils se ressemblent et cette ressemblance, avec le temps, a fini par instaurer une sorte de parenté. Cette parenté dans la forme nous rappelle, tout de même, qu’à la différence des magasins et des boutiques, les marchés reposent sur une activité commerciale nomade. Dans les marchés, celles et ceux qui nous proposent leurs produits et leurs marchandises ne sont pas installés en permanence : sitôt les horaires du marché passés, ils s’en vont et laissent place nette derrière eux. Cependant, les marchands à la sauvette entretiennent cette précarité toute la journée, ils ne s’interrompent pas, ils n’ont pas d’horaires. Les marchands “à la sauvette” ne situent pas leur activité dans l’espace mais dans la parole et dans la rencontre : ils n’attendent pas leurs clients, mais ils vont vers eux pour leur proposer ce qu’ils vont leur vendre. Ils font de la rue un espace d’échanges et de commerce. Tantôt il s’agit d’un commerce de produits « tombés du camion », comme on dit, de produits à la légitimité douteuse, tantôt il s’agit de personnes qui font leur commerce tout simplement sans être embauchés par un employeur professionnel, tantôt ils exercent dans la ville, à Marseille en particulier, l’activité commerciale ancestrale du monde méditerranéen, celle du mouvement et du déplacement nomade.

 

Où se situe le marché informel ?

Le marché informel est partout dans Marseille, car il n’a pas de lieu fixe, mais, tout de même, il n’habite pas tous les quartiers, on ne trouvera pas le marché nomade dans les quartiers riches de la ville ou alors par une sorte de provocation. C’est à porte d’Aix, à la Belle de Mai, dans les quartiers populaires du 14ème et du 15ème que l’on va rencontrer les marchands nomades et leurs produits. Ils situent leurs quartiers dans une véritable économie de la rue. Cette économie contribue, en quelque sorte, à l’élaboration d’un urbanisme complexe de la rue, qui retrouve la précarité des logements et des constructions dans la vie sociale et dans le marché. Le marché informel est souvent à côté du marché « normal », installé, comme s’il s’agissait d’un marché second critique de l’autre, comme si le marché informel se situait à côté de l’autre, pour se confronter à lui, dans une sorte de concurrence proposée aux passants et aux personnes qui vont faire leurs courses au marché. À Marseille, le marché informel, plus que dans d’autres villes, fait partie de la rue et lui donne une identité économique, à côté de son identité sociale et politique. C’est que le marché informel n’est pas seulement un marché de vente et d’achat : il  consiste aussi dans le marché de celles et de ceux qui proposent des prospectus invitant aux marchands dont ils indiquent l’adresse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le marché informel s’est réuni à l’information et à la communication politique, elles aussi informelles, des tracts et des crieurs. Le marché informel contribue à donner sa vie et son mouvement à la rue, qui, sans lui, serait trop sage, trop vertueuse, trop morale.

 

Que signifie cette économie parallèle à Marseille ?

C’est que l’économie parallèle contribue à construire une politique informelle de la ville. Il ne s’agit pas seulement de commerce, mais c’est toute une vie politique qui naît de cette activité informelle, parallèle à la vie sociale légitime. À Marseille en particulier, l’économie parallèle de la rue, celle des “marchands à, la sauvette”, a trois significations. La première est de rappeler que l’économie de la rue n’a pas entièrement été détruite par les grandes surfaces et par les magasins légitimes. L’économie informelle résiste à cet enfermement dans les structures et les institutions établies. L’économie parallèle est une économie critique de l’autre. La deuxième signification de ce marché de la rue est de manifester une vie urbaine autre. Il y a deux villes, à Marseille, celle qui se montre et qui se voit donner des noms et des identités, et celle dont l’identité consiste justement à ne pas en avoir. Même si elle n’est pas dite explicitement, le second sens du marché nomade de la rue est la critique de l’économie urbaine qui soumet la ville à des codes et à des normes qui n’ont pas été choisis mais qui ont été imposés par les institutions et les pouvoirs de l’économie urbaine. Enfin, cette économie parallèle de la ville nous renvoie, une fois de plus, à Marseille, à la lutte sans fin entre les classes : l’économie parallèle est celle de la pauvreté et de la précarité, cette économie qui ne se voit pas reconnaître ni légitimer par les acteurs de l’économie légitime et de la ville « normale ». Cela nous rappelle, une fois de plus, qu’il y a deux Marseille, celle de l’ordre et des pouvoirs et celle qui passe entre les mailles des filets de l’autorité, et qui leur est étrangère. La vie économique de la ville, comme son activité culturelle, navigue toujours entre ces deux mondes qui s’ignorent l’un l’autre.

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