Lecture du livre de Marcel Roncayolo, « le géographe dans sa ville »
LIRE LA VILLE
« Marsactu » a publié récemment des « bonnes feuilles » du livre que le géographe Marcel Roncayolo vient d’écrire avec Sophie Bertran de Balanda, "Le géographe dans sa ville". À la fois parce que j’ai eu la chance de travailler quelque temps avec lui et parce que je m’intéresse à la multiplicité des significations de Marseille, j’ai eu envie de consacrer quelques-uns de ces blogs à la lecture de ce livre .
Je commencerai, aujourd’hui, par parler de ce que nous pouvons appeler, après le livre de J. Gracq qui porte ce titre, la forme d’une ville[1]. C’est que, d’abord, Roncayolo situe lui-même son livre[2] dans un parcours à travers Marseille fait à la fois de savoir et d’émotions, de sentiments et de connaissance, dans une sorte de lignée commencée par J. Gracq au sujet de Nantes, sa ville natale. Dans son livre, Roncayolo ancre, dit-il, son témoignage sur les itinéraires qui, dans sa ville natale, le Marseille de son enfance et de son adolescence, ont façonné sa personnalité et modelé son regard sur la ville, partant sa conception de l’urbain (p. 11). C’est qu’il faut ici comprendre ce qu’est la forme d’une ville. Parler de forme à propos de la ville, c’est se situer dans le champ des signes, des langages et des représentations. Le terme même, représentation, est employé par Roncayolo lui-même : La matérialité qui m’entourait, écrit-il au début de son livre, dans une « ouverture » intitulée La ville médiatrice, n’était pas donnée de façon brute, mais interprétée, faite de représentations en grande partie transmises par mon entourage familial, groupes d’appartenance, générations même (p. 8). Nous sommes ainsi situés par les mots mêmes de Roncayolo dans la complexité de la logique de la médiation, fondée sur deux relations, la représentation, qui articule le signe, la réalité et l’imaginaire, et la médiation, qui articule le politique entre le singulier et le collectif.
Tout le livre de Roncayolo va ainsi construire ce que l’on pourrait appeler le langage de Marseille, les codes de cette ville, en les situant dans une tension entre la dimension singulière de l’expérience de la ville et la dimension collective des savoirs sur l’urbain. C’est ici que l’on peut lire, dans les mots de Roncayolo, une relation avec un autre texte, ce que l’on pourrait appeler un autre intertexte, avec le livre de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. C’est que la Recherche va, de la même manière, construire un espace particulier, celui d’une tension entre les représentations singulières de Proust et son expérience de la mémoire et les représentations collectives dont il est porteur, à la fois celles qui lui sont transmises par sa famille et les membres de son entourage et celles qui lui sont transmises par ses savoirs et les informations qui circulent dans l’espace public. Et, d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le livre de Roncayolo est jalonné d’images de documents institutionnels comme des plans de la ville qui permettent de retracer l’évolution de l’espace urbain à Marseille et des documents politiques comme des documents publiés à l’occasion d’élections municipales.
On comprend mieux, ainsi, l’expérience que l’on peut appeler lire la ville. Lire la ville, c’est lui donner une signification multiple, en la situant à la fois dans son expérience propre, dans les parcours et les errances que l’on peut y mettre en œuvre, et dans son engagement politique et social. Lire la ville, c’est, ainsi, ne pas seulement la penser comme ce que l’on pourrait appeler une figure géographique, un espace particulier, mais aussi comme un tissu et un réseau de significations se situant dans différents champs, dans une pluralité de codes, dans ce que l’on pourrait appeler un lexique ou une grammaire, ce que fait Roncayolo lui-même dans un texte publié en 1981. Ce que Roncayolo appelle une géographie culturelle (p. 9) est, ainsi, écrit-il (p. 10), une tension entre le particulier et le général. Finalement, ce à quoi nous invite le livre de Roncayolo, c’est bien à nous rappeler que la ville, la polis des Grecs, est l’espace dans lequel s’invente le politique et où s’élabore le débat public, l’espace dans lequel s’instituent les journaux et dans lequel se construit l’information, l’espace dans lequel notre identité se fonde à la fois sur les relations instituées dans notre famille et sur notre citoyenneté : être citoyen, c’est habiter dans la civitas, dans la cité, qui est l’espace dans lequel être citoyen, être un civis, c’est à la fois s’engager dans l’expérience du politique et se faire reconnaître par l’autre comme politiquement semblable à soi autant que nous le reconnaissons comme politiquement semblable à nous.
[1] GRACQ (Julien), La forme d’une ville, Paris, José Corti, 1985, 213 p.
[2] RONCAYOLO (Marcel), avec S. Bertran de Balanda, Le géographe dans sa ville, Marseille, Parenthèses, 2016, 266 p.
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Ce serait une vraie chance que vous puissiez être présent samedi au musée, cher Bernard. En outre une belle occasion pour moi de vous retrouver ou peut-être, dans les semaines à venir, si vous pouvez participer à certains des rendez-vous au programme jusqu’au 10 octobre.
Amitiés
Sophie
http://musee-histoire-marseille-voie-historique.fr/fr/content/marcel-roncayolo-le-g%C3%A9ographe-dans-sa-ville-le-programme-en-ligne
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