16 000 personnes à la rue à Marseille : “la situation ne s’améliore pas”
Basée sur le recours aux services d'hébergement d'urgence, une nouvelle étude permet une actualisation du nombre de personnes sans-abri à Marseille. En 2022, plus de 16 000 personnes se sont retrouvées à la rue au moins une fois dans l'année. Une augmentation de 16,9% en trois ans.
Un travailleur social en intervention dans les rues de Marseille (Photo : Emilio Guzman)
Ce mardi 16 avril au soir, l’État et la mairie de Marseille déployeront dans les rues de la ville les centaines de bénévoles de la nuit de la solidarité. Un événement qui vise à comptabiliser les personnes à la rue rencontrées ce soir-là, mais aussi à mobiliser, sensibiliser, échanger. Car les chiffres recueillis seront avant tout symboliques : lors des deux premières éditions, autour de 450 personnes ont été identifiées à chaque fois. Une donnée forcément parcellaire, puisque les bénévoles ne peuvent pas se rendre dans tous les quartiers de Marseille, ni parvenir à parler avec tous ceux qui n’ont pas un vrai toit. Mais ils échangent, questionnent sur les besoins essentiels et renouent parfois le dialogue avec des personnes éloignées de tout.
Avec une tout autre méthodologie, le projet Assab présente, depuis une décennie, des chiffres d’un autre ordre. Le dernier décompte publié ce lundi fait ainsi état de 16 461 personnes en situation de sans-abrisme à Marseille en 2022. Comme les précédentes, cette étude est le fruit d’un réseau composé notamment par l’Agence régionale de santé, l’État, la Ville de Marseille et l’Hôpital européen. Il se base sur la compilation minutieuse et le peignage des fichiers des structures d’hébergement d’urgence, accueils de jour et lieux de soins dédiés, qui permettent d’obtenir la liste quasiment exhaustive des “personnes s’étant déclarée « dans la rue » ou « en hébergement d’urgence »” au moins une fois au cours de l’année concernée.
Si ce mode de recensement est tout de même contraint par la capacité d’accueil de ces lieux, il permet de décrire plusieurs réalités locales. La première : entre 2019 et 2022, le nombre de personnes recensées a augmenté de 16,9 %. Comparée à 2011, première année de décompte, la hausse est de 29,8 %. Les chiffres disent aussi l’augmentation de la part de femmes (24,3 %) et de mineurs (17,9 %) parmi les sans-abris marseillais, qui restent toutefois majoritairement des hommes adultes isolés (57,7 %). Et surtout la saturation permanente des endroits d’accueil. “Il y a plus de places de disponibles, mais toujours autant de gens à la rue. Toute place ouverte trouve preneur”, résume Cyril Farnarier, coordinateur du projet Assab, et co-auteur du recensement avec Alexandre Daguzan, psychosociologue et ingénieur hospitalier à l’AP-HM.
Vous publiez tout juste les résultats de cette nouvelle étude sur le nombre de personnes sans-abri à Marseille alors que la nuit de la solidarité se tient ce mardi 16 avril, est-ce une simple coïncidence ?
Idéalement, on voulait que ce recensement soit bouclé pour la journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre, mais on n’était pas prêts. Il a fallu remettre le travail sur l’établi. Mais on a poussé fort pour pouvoir publier avant la nuit de la solidarité en effet, car après, toute donnée publiée pourrait être confondue ou associée, au risque de jeter le trouble.
La nuit de la solidarité vise davantage à mettre en lumière la question du sans-abrisme, à mobiliser des citoyens, à mettre en musique tous les réseaux d’associations. Mais les éditions précédentes ont permis de recenser 450 personnes à la rue. On sait bien que la réalité est bien au-delà. Notre idée n’est pas du tout de mettre un coup dans l’aile à cette démarche, mais de la dissocier de notre notion de recensement qui dit : on sait que 16 000 personnes ont été à la rue au cours de l’année 2022. L’écart est tellement monstrueux, ce serait dommage que nos chiffres passent inaperçus.
Entre 2019 et 2022, on passe de 14 000 à 16 000 personnes recensées. Cela signifie-t-il qu’il y a une aggravation de la situation ?
Notre chiffre seul ne témoigne pas de l’aggravation, car nous ne mesurons pas tellement le nombre de personnes que les places disponibles. En revanche, ce qu’on peut dire c’est que les capacités augmentent et que les établissements sont toujours en saturation. Il y a plus de places, mais toujours autant de monde à la rue : toute place ouverte trouve preneur. Donc la situation ne s’améliore pas. La nuit de la solidarité le montrera certainement. Et les structures d’accueil témoignent toutes de cette saturation et de cette pression constante.
On note en revanche une baisse du nombre de personnes accueillies dans l’hébergement d’urgence, comment cela s’explique-t-il ?
C’est en réalité lié à la durée d’accueil autorisée. En 2019, il y avait encore la limite de dix nuitées hôtelières maximum par an, qui a disparu avec la période Covid. Il y avait donc davantage de rotation. Ces lieux accueillent désormais les gens aussi longtemps que nécessaire, ce qui fait moins de passages sur une année.
Le 115, en charge de l’orientation vers ces dispositifs, ne peut pas répondre à plus d’un appel sur deux, que dire de ce taux ?
Ce nombre varie avec le nombre d’appels, forcément. Mais il ne dit pas l’importance du nombre de personnes à la rue, puisque beaucoup renoncent à appeler, comme cela a été montré par les données recueillies par les nuits de la solidarité. Les gens se découragent, et c’est donc impossible de comptabiliser leurs besoins par ce biais.
La période Covid a impliqué une ouverture massive de 2150 places d’hébergement d’urgence dans l’idée d’une “mise à l’abri générale”. Si, en 2022, ces capacités persistaient, doit-on s’attendre à une baisse pour vos prochains recensements ?
Oui. Aujourd’hui, les Bouches-du-Rhône tournent au-dessus des chiffres qui sont fixés par l’État central pour la mise à l’abri d’urgence. La volonté est donc de réduire, en fermant des places hôtelières [ouvertes pendant cette période, NDLR]. Non pas en expulsant les bénéficiaires, mais quand quelqu’un quitte l’hôtel, sa place est fermée. Au 31 mars dernier, 2038 personnes étaient prises en charge à l’hôtel, l’État fixe comme objectif 1838, soit 200 de moins, pour avril.
Il est donc possible que cette baisse se ressente dans nos prochains chiffres. C’est une de nos mises en garde : on comptera moins de gens, mais si la saturation persiste, il ne faudra pas prendre ça comme une baisse du nombre de personnes à la rue.
Un autre enseignement de cette étude, c’est le renouvellement très fort de la population à la rue. Seulement 11,2 % de personnes recensées en 2022 figuraient déjà dans les fichiers de 2019. Comment l’expliquer ?
Quand on a vu apparaître ça lors du précédent recensement en 2019, c’était une vraie surprise, pour nous, comme pour tout le monde. Et le constat est le même quatre ans plus tard, avec un renouvellement encore très fort. Tout ce flux, on ne sait pas où il va. Dans un monde idéal, il serait sorti de la rue et parti vers l’insertion. Mais en réalité, c’est peu probable. Il n’y a pas une telle fluidité dans les parcours. Beaucoup quittent le territoire, mais on n’en sait pas plus.
Cela montre surtout l’importance de travailler dans l’idée de flux et d’urgence sociale. On a beaucoup parlé de sédimentation sociale dans l’hébergement d’urgence, de la nécessité de remettre de la fluidité. En réalité, les gens sortent tout seuls et on est vraiment face à de l’urgence sociale.
À travers cette étude, vous tirez donc des constats, mais vous lancez aussi des alertes ?
Le recensement Assab est en accord avec le projet Assab dont le principe est de mettre en réseau et de produire de l’action en faveur de l’accès aux droits. L’amélioration de la connaissance des publics n’est qu’un des axes. Alors forcément, on peut poser des questions, par exemple : cela fait dix ans qu’on produit ces chiffres et qu’est-ce qui en est fait ? Ça, je ne sais pas.
Vous le posez dans votre synthèse, ce recensement permet de visibiliser les personnes, mais aussi les travers du système de prise en charge, à commencer par le tri des publics. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
La question du tri ne ressort pas directement dans les chiffres, mais nous mesurons les capacités d’accueil, et elles sont saturées. Beaucoup de gens n’arrivent pas à être pris en charge, comment font les travailleurs sociaux, les structures, les écoutants du 115 ? Une concurrence entre les vulnérabilités se met forcément en place. On se retrouve à devoir arbitrer entre un homme isolé et une femme enceinte. Ça, pour les accueillants comme pour les gens qui travaillent dans les services de l’État, ça pose question. Personne n’est venu travailler dans ce secteur pour trier les gens. C’est cette alerte-là que l’on lance, même si on n’est pas les premiers. On apporte simplement notre pierre à ce constat.
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La situation ne s’améliore pas en effet, et quand on se déplace dans le centre-ville, on croise des sans abris partout, notamment tout le long de la Canebière. Et à chaque fois je me demande : mais il n’ya personne pour s’occuper de ces gens ? On les laisse à la rue ? Aucun service n’est chargé de leur prise en charge ? Est-ce la même situation dans toutes les grandes villes de France ?
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