Perquisitions à l’IHU et l’IRD sur les financements douteux de l’institut de Didier Raoult

C’est une double bombe judiciaire qui a explosé ce lundi dans les deux plus beaux fleurons de la recherche française à Marseille. Le parquet a perquisitionné ce matin les bureaux de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) d’infectiologie du professeur Didier Raoult pendant de longues heures, indique France Bleu Provence faisant mention de la présence d’un représentant du parquet de Marseille et d’officiers de police judiciaire. Une information confirmée par la procureure de la République Dominique Laurens par voie de communiqué :

Le parquet de Marseille confirme qu’une enquête préliminaire a été engagée depuis la transmission d’un signalement émanant de l’agence française anti-corruption  en 2019  visant l’institut de recherche pour le développement IRD établissement public à caractère scientifique et technologique dans ses liens financiers avec la fondation méditerranée infection mais aussi dans le fonctionnement interne de l’ IRD sur l’emploi de fonds publics pour des dépenses sans lien avec les missions de l’IRD ou non justifiées . Les perquisitions opérées ce jour sont en lien avec cette enquête, elles se sont déroulées sans difficulté et l’enquête se poursuit dans le cadre de l’exploitation des documents qui ont été saisis.

Dans le même temps, une perquisition a également eu lieu à l’IRD, un établissement public dont le siège a été décentralisé à Marseille en 2008. Cette double perquisition ne doit rien au hasard : elle fait suite à l’ouverture d’une enquête préliminaire, après un signalement de l’Agence française anti-corruption, dirigée par le magistrat Charles Duchaine, dont Marsactu s’était fait l’écho en septembre 2020. Pour l’heure, l’avocat de l’IHU et de Didier Raoult, Brice Grazzini se borne à évoquer : “une vieille affaire”, se refusant à tout autre commentaire tant qu’il n’est pas autorisé à le faire.

La vieille affaire n’est pas si lointaine. Les enquêteurs s’intéressent en effet aux conditions de l’octroi d’une aide substantielle versée par l’IRD à l’IHU du professeur Raoult en 2017 alors que le bâtiment du pôle d’infectiologie sortait de terre. Sans prévenir grand monde au sein de l’IRD, le PDG d’alors, Jean-Paul Moatti, décide d’attribuer une aide de 300 000 euros à l’IHU de son grand ami, Didier Raoult. Les deux hommes se connaissent bien : en tant que spécialiste de l’économie du monde médical, Jean-Paul Moatti a dirigé une unité mixte de recherche, le SESTIM, dont une partie des services a rejoint l’IHU.

Une convention IHU-IRD signée entre mari et femme.

Mais le principal problème n’est pas là. En versant ces 300 000 euros tout rond à l’IHU, Jean-Paul Moatti s’assoit sur une règle bien établie dans la gestion des établissements publics : celle de se déporter quand l’acte pris en tant que dirigeant mêle des intérêts publics et des intérêts privés. Or, la convention signée en 2017 met face à face deux signatures qui ont beaucoup en commun. La présidente de l’IHU, Yolande Obadia est l’épouse de Jean-Paul Moatti à l’époque.

6452 mètres carrés pour cinq chercheurs de l’IRD

Or, le PDG n’a mis en place aucun mécanisme pour se déporter de ce dossier et éviter le soupçon d’un conflit d’intérêts et donc d’un trafic d’intérêts, l’infraction pénale liée à ce conflit. Il y avait également de quoi s’étonner du décalage entre le montant de l’aide accordée et le faible nombre d’agents de l’IRD qui travaillaient effectivement au sein de l’IHU à l’époque. “Cinq”, nous indiquait une source syndicale à l’époque. La convention signée par les deux hommes correspondait à la mise à disposition de 6452 mètres carrés de locaux. Cela laissait les coudées franches aux quelques chercheurs de l’IRD. Tous ces éléments mis au jour par l’Agence française anti-corruption (AFA) au moment de son contrôle en mai 2018 figuraient également dans son rapport remis au PDG de l’IRD dans les mois suivants leur visite.

Le siège de l’IRD, boulevard de Dunkerque à Marseille. (Photo : BG)

Dans le rapport de l’AFA que Marsactu avait pu consulter, les agents anti-corruption révélaient que le PDG de l’IRD avait pris soin de se passer des conseils de ses services. Les affaires juridiques de l’IRD n’avait pas été consultées alors que le montant global de l’aide octroyée par l’IRD de Moatti à l’IHU de son épouse s’élevait à un million d’euros. Il n’avait pas plus averti le conseil d’administration de l’IRD d’un possible conflit d’intérêts. Pourtant toute convention entraînant une dépense supérieure à 50 000 euros nécessite la consultation de cette instance où siègent notamment des représentants des tutelles ministérielles de l’IRD.

De fait, il s’était contenté alors d’une simple information des administrateurs par le biais d’une liste des participations financières de l’IRD au sein de structures dotées de personnalités morales. Selon l’AFA, le PDG aurait omis une autre participation de son institut à l’IHU via le centre de ressources en microbiolobie (IHUBIOTK), là encore pour un montant global de 300 000 payés en deux fois, en 2017 et 2018.

Un soutien arrivé à point nommé

Enfin, outre les montants et l’oubli de l’ensemble des mécanismes de prévention de la corruption, un autre aspect interroge les enquêteurs : celui du timing. Comme nous l’écrivions en 2018, la subvention était arrivée à point nommé pour l’IHU, énorme paquebot de la recherche en région qui avait besoin de tous les soutiens pour voir le jour. Or, l’IHU avait été frappé d’une certaine disette financière de la part de l’IRD dans les années précédant cette convention matrimoniale. Car le soutien économique de l’IRD aux recherches de Didier Raoult ne date pas de l’arrivée de Jean-Paul Moatti, ses prédécesseurs, Jean-François Girard et Michel Laurent avaient aidé l’IHU à sortir de terre. L’aide votée par ce dernier s’était arrêté en 2017, pile au moment où Jean-Paul Moatti mettait sur pied la convention maison.

Pour l’heure, ni l’IHU, ni l’IRD n’ont répondu à nos sollicitations concernant le périmètre de l’enquête en cours. “Nous avons transmis les documents dont ils avaient besoin, commente le responsable de la communication de l’IHU, Yanis Roussel, par SMS. Tout s’est passé dans le calme nous avons bien sûr collaboré pour que cela se passe du mieux possible“. Au moment de la parution de notre enquête sur le rapport de l’AFA, la nouvelle PDG de l’IRD nous faisait passer le message suivant :  “La nouvelle gouvernance de l’IRD a eu connaissance du rapport, confidentiel, de l’AFA et s’assure de la prise en compte des recommandations dans le cadre des prescriptions qui s’imposent à tout établissement public”.

En plus de la convention entre les deux instituts, les magistrats de l’AFA avaient souligné les largesses toutes personnelles que Jean-Paul Moatti s’octroyait à lui-même. Et qui relèvent certainement de “l’emploi de fonds publics pour des dépenses sans lien avec les missions de l’IRD ou non justifiées” recherchés par le parquet de Marseille dans son enquête. Celui qui fût colistier du candidat LREM Yvon Berland lors des dernières municipales se faisait régulièrement rembourser des déplacements d’ordre privé et des repas tout aussi privés sur le compte de l’IRD. Il était notamment question de déplacements en Corse, justifiés par des interventions à la faculté de Corte, en pleines vacances, alors qu’il était de notoriété publique que le PDG disposait d’une résidence secondaire à cet endroit.

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