Rafle du Vieux-Port : premières auditions dans l’enquête pour crime contre l’humanité

Il aura fallu attendre 76 ans pour que l’histoire accélère brusquement. Depuis le début de la semaine des gendarmes de l’office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et crimes de guerre (OCLCH) ont pris leurs quartiers à la caserne de l’avenue de Toulon. Ils entendent un par un les rescapés de la rafle des 23 et 24 janvier 1943 au cours de laquelle près de 20 000 habitants du quartier Saint-Jean, entre le Vieux-Port et le Panier, sont évacués. 12 000 d’entre eux sont ensuite amenés en wagons à bestiaux vers une ancienne caserne de Fréjus. Parmi eux, plus de 600, juifs et résistants, ont été déportés vers le camp de concentration de Sachenhausen. Après plusieurs jours d’internement, les familles évacuées rentrent à Marseille, elles retrouvent leur quartier entièrement rasé à la dynamite.

Plusieurs jours d’audition

Depuis, huit rescapés et descendants de rescapés de cette rafle ont porté plainte pour crime contre l’humanité (lire notre article sur cette plainte inédite). Cette procédure, portée par l’avocat Pascal Luongo, a débouché sur l’ouverture d’une enquête préliminaire. “Lorsqu’elle m’a reçue en mai dernier, la responsable de la section spécialisée pour ces crimes Aurélia Devos m’a indiqué qu’après analyse le crime contre l’humanité était caractérisé et qu’elle ouvrait une enquête préliminaire”. L’avocat savait que les premières auditions suivraient. Celles-ci ont permis aux huit premiers plaignants de signer formellement la plainte à laquelle ils s’associent.

Notre audition a duré une heure et demi, raconte Antoinette Contini. Nous avons été entendus séparément avec mon mari.” Elle-même avait neuf ans au moment de la rafle. Elle vivait avec ses parents rue Janetin, à proximité de l’église Saint-Laurent. Une rue aujourd’hui disparue.

“J’entends encore le bruit des bottes”

Ils avaient des questions très précises, poursuit-elle. Il voulait savoir si nous avions été prévenus, s’ils nous avaient réveillés, à quelle heure ils étaient arrivés, etc…” Antoinette Contini a des souvenirs très précis de ce soir de janvier : “J’entends encore le bruit des bottes dans l’escalier…” Elle se souvient aussi de la voix qui, par haut-parleur, leur enjoignait de quitter leur appartement, comme elle le raconte dans le recours déposé par Pascal Luongo.

Je me souviens qu’on nous a demandé de bien fermer la porte de notre appartement. De cette façon, les autorités françaises ont cherché à nous rassurer. En réalité, elles nous ont trompé de la plus honteuse des manières. Puisque, en accord avec l’occupant nazi, elles avaient déjà organisé la destruction de tous les immeubles de Saint-Jean.

Envoyée à Fréjus avec le reste de sa famille, elle se souvient de cette semaine “comme la plus traumatisante de sa vie”. “Nous avons été parqués dans des baraquements immondes, qui n’étaient même pas adaptés pour abriter des animaux. Même la paille sur laquelle nous dormions était infecte”. À leur retour, leur maison avait été entièrement pillée. Elle sera ensuite détruite par la Werhmacht.

Aux souvenirs précis d’Antoinette Contini, s’oppose la mémoire forcément indirecte des descendants d’évacués. C’est le cas de Jeannine Sansone, qui n’a connu ce drame que par le récit qu’en faisait sa famille. “Des racontars”, s’excuse-t-elle presque.

“Pas de papier, rien”

“Les gendarmes m’ont appelé pour me convoquer à une audition mais je n’ai pas donné suite à leur demande, confie Jeanine Sansone. C’est que je n’ai pas vécu cette époque. Je suis née en 1955 bien après la rafle. Je sais surtout ce que l’on racontait dans la famille : la déportation à Fréjus, l’immeuble détruit et mes parents qui ont tout perdu. Mais je n’ai aucune preuve, pas de papier, rien“. Elle a donc préféré remettre à plus tard sa rencontre avec les gendarmes.

Petit garçon à l’époque des faits, Antoine Mignemi attend avec impatience sa convocation. Mais au-delà de l’avancée de l’enquête, c’est le processus de reconnaissance qui lui importe. “Nous avons créé un collectif pour que le travail de mémoire ne se limite pas à la recherche des responsabilités, explique-t-il. Nous espérons que ces dates puissent entrer dans le calendrier des commémorations, que la Ville s’en empare, qu’il puisse y avoir un travail avec les écoliers.

Une stèle au Panier

Infatigable historien au service de cette cause, Michel Ficetola a œuvré à l’installation d’une stèle commémorative au pied de l’église des Accoules. “Pour les rescapés de cette rafle, pour les descendants et plus généralement pour tous les Marseillais, c’est important d’avoir un lieu où se recueillir”, justifie-t-il. Il a multiplié les courriers au président de la République et au maire de Marseille pour obtenir une reconnaissance officielle avant même l’issue de l’enquête pénale.

Jean-Claude Gaudin lui a répondu le 10 septembre dernier, promettant de remettre la médaille de la Ville à quatre des plaignants. Dans ce courrier, on peut lire de la plume du maire : “Même tant d’années après, le terme de crime contre l’humanité est tout à fait légitime. Le drame vécu par Madame Antoinette Contini, Gilbert Castagno, et Michel et Robert Barone méritent, en effet, toute notre reconnaissance, pour ne pas oublier”.

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