Rafle du Vieux-Port : le parquet de Paris ouvre une enquête pour crime contre l’humanité
C’est un drame qui a touché 20 000 Marseillais sous Vichy, mais qui était resté sans existence aux yeux de la justice française. Le 24 janvier 1943, militaires allemands et police française évacuent et transfèrent les habitants de la rive Nord du Vieux-Port. Suite à la plainte déposée par l’avocat Pascal Luongo en janvier dernier (lire notre article), le parquet de Paris a ouvert le 29 mai une enquête préliminaire pour “crime contre l’humanité”. L’enquête sera dirigée par le pôle spécialisé du parquet, créé en 2011. “Soixante-quinze ans après les faits, les derniers survivants attendent justice et humble reconnaissance de leurs souffrances”, écrivait l’avocat, lui-même petit-fils de rescapé, dans sa plainte. C’est à présent chose faite.
Au lendemain de la rafle des Juifs du quartier de l’Opéra, la totalité des habitants du quartier de Saint-Jean sont évacués par la police française sur ordre nazi. 12 000 d’entre eux sont transportés de force dans des wagons à bestiaux vers un camp de Fréjus où ils resteront une semaine. Près de 800 victimes, transférées vers le camp de concentration allemand d’Orianenbourg-Sachenhausen, ne reviendront pas. Les autres ne reverront jamais leur domicile : un mois plus tard, leur quartier sera entièrement détruit à la dynamite.
La plainte déposée par Pascal Luongo vise toute personne qui s’est rendue coupable de crime contre l’humanité à Marseille, Fréjus et Oranienbourg le jour de la rafle, en février 1943 lors du dynamitage du quartier, et courant années 1944 et 1945. L’avocat avance en préambule de sa plainte la qualification de crime contre l’humanité “en raison d’une atteinte volontaire à la vie, du transfert forcé de population, de la privation grave de liberté physique et des actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances et des atteintes graves physiques et psychiques”.
Habitants modestes du quartier surnommé à l’époque la “petite Naples”, ils étaient pour beaucoup d’origine italienne. La plupart ont disparu, mais l’ouverture d’une enquête offre l’opportunité à quatre survivants et plusieurs descendants de se constituer partie civile dans le cadre d’un éventuel procès. Parmi eux, Antoine Mignemi, 5 ans au moment des faits (lire son témoignage) : “j’accueille l’ouverture de l’enquête très positivement. L’important n’est pas de poursuivre les coupables, qui ont peut-être tous disparu. L’important est que notre histoire ne s’efface pas”, estime-t-il aujourd’hui.
L’ouverture de l’enquête ouvre tout de même la voie à l’éventuelle identification de coupables et complices vivants. Les commanditaires sont décédés, mais l’opération a mobilisé différentes divisions de l’armée allemande, et 10 000 policiers et gendarmes français, estime Pascal Luongo. “Pour rassurer la population, c’est la police française qui est allée au contact des évacués pour les expulser. La police ayant pour rôle assigné de protéger les évacués, ceux-ci ne pouvaient imaginer ce qui s’était tramé contre eux”, détaille-t-il dans sa plainte.
Selon l’avocat, les victimes de la rafle de Saint-Jean ont en commun la spécificité “d’avoir passé leur vie à relativiser ce qui leur était arrivé, dans la mesure où la plupart ont survécu. Surtout qu’au moment des faits, la notion de crime contre l’humanité n’existait pas.” Celle-ci est créée à Nuremberg en 1945. Le crime contre l’humanité est, depuis 1964, le seul crime imprescriptible en France.
Dans les affaires portant sur les crimes perpétrés durant la seconde guerre mondiale, les juridictions françaises et allemandes travaillent conjointement, ce qui permettra de rechercher des survivants impliqués outre-Rhin. Ils encourront alors la perpétuité. “Si aucun coupable encore vivant n’est identifié, le parquet rendra un non-lieu”, précise Pascal Luongo. Dans le cas contraire, un procès pourra se tenir. En novembre 2018, l’Allemagne a poursuivi un ancien nazi gardien au camp de Stutthof en Pologne. L’accusé était âgé de 94 ans.
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