Christian Nicol : “En matière d’habitat indigne, l’État et la Ville ne font pas leur boulot”
En 2015, le rapport qui porte son nom avait fait grand bruit localement. La ministre du logement de l’époque, Sylvia Pinel, demandait à Christian Nicol, inspecteur général honoraire et directeur du logement à la Ville de Paris de 2003 à 2012, de réaliser un rapport sur la réhabilitation du logement à Marseille. Un rapport peu apprécié localement tant il mettait sèchement les pouvoirs publics devant leurs responsabilités (lire notre article).
“En effet le parc immobilier marseillais comporte un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants”, écrivait-il en préambule. Pour faire court, le rapport pointe deux priorités : les grandes copropriétés dégradées sur lesquelles l’État vient d’annoncer un nouveau plan d’action (lire notre article) et le centre-ville où “une problématique plus globale de traitement de l’habitat ancien dégradé et indigne perdure”. Une partie des préconisations de son rapport ont donné lieu à plusieurs protocoles d’action signés entre l’État et les collectivités locales. Mais trop lentement face aux urgences vécues par ces habitants. Christian Nicol revient pour Marsactu sur les suites de ce rapport et, surtout, sur les raisons de ces blocages locaux.
Avez-vous suivi la mise en œuvre des préconisations de votre rapport ?
Je ne suis plus dans le jeu mais j’ai encore des contacts sur place qui, de manière générale, me tiennent au courant de l’avancée de mes préconisations. Ce que je sais, c’est qu’il y a eu un début d’action, puis le préfet a changé et cela a pris plusieurs mois de retard. L’accent a été mis sur les copropriétés dégradées. On est toujours à la phase d’études pour savoir qui fait quoi. Si mon rapport a été si mal pris, c’est qu’il a remué les choses et souligné que, sur cette question de l’habitat indigne, l’État et la Ville ne font pas leur boulot.
Comment cela se traduit-il concrètement ?
Je vais vous dire quelque chose que je n’ai pas dit à l’époque mais qui m’agace tellement que je souhaite le dire aujourd’hui. À l’époque, j’avais préconisé de mettre l’établissement public foncier au centre du dispositif en faisant en sorte qu’il assure le portage foncier dans les copropriétés dégradées [c’est-à-dire en rachetant pour le compte de la collectivité les immeubles avant rénovation, ndlr]. Cet organisme dépend de l’État et des collectivités. Or, la direction de l’époque a tout fait pour ne pas être chargée de ce boulot. Au final, je crois qu’elle a réussi. Pour la partie du centre-ville, ils ont continué à faire comme avant.
Pourquoi les pouvoirs publics n’appliquent-ils pas la réglementation sur ce centre ancien parfois très dégradé ?
Du côté de l’État, ils n’ont pas les effectifs suffisants. À ma connaissance, ils prennent toujours un nombre d’arrêtés d’insalubrité ridicule au regard de la situation. Je ne sais pas comment ça a évolué depuis mon rapport. En 2015, il y avait une seule personne à l’Agence régionale de santé qui s’occupait d’insalubrité pour toute la région [selon nos informations, le nombre d’arrêtés d’insalubrité pris à Marseille en 2018 s’élève à 11. Le service de l’ARS est passé à trois personnes, ndlr]. Du côté de la Ville, on m’a dit qu’ils avaient fait des efforts pour renforcer leurs services. Mais, en voyant ce qui se passe cette semaine, ce n’est à l’évidence pas suffisant.
Quelle est la nature du blocage ?
Le problème principal tient à la question du relogement. Dans un immeuble en situation de péril imminent, les habitants doivent être relogés immédiatement et souvent de manière durable. Or, cela veut dire qu’au-delà de l’hébergement d’urgence, il faut pouvoir mobiliser des logements du parc HLM. À l’époque, des élus m’avaient demandé d’écrire qu’il fallait que des efforts soient faits. Les services de la Ville eux-mêmes m’ont avoué que c’était impensable qu’après un arrêté de péril ou d’insalubrité, les gens soient relogés dans le parc HLM parce qu’il ne servait pas à cela. Les HLM, c’était la chasse gardée des élus qui faisaient du clientélisme avec les attributions. Du coup, ils préfèrent bricoler avec le logement social de fait que constitue cet habitat indigne.
Outre les grandes copropriétés, votre rapport traite aussi du centre ancien. C’est aussi là que se concentrent les situations d’indignité. Est-ce que c’est une question d’outils pour agir efficacement ?
Pas du tout. J’ai été mandaté parce que j’ai dirigé le service logement et habitat de la Ville de Paris. Nous avions réussi à traiter les questions de logement indigne et insalubre à Paris. Il s’agit de mettre les moyens et d’avoir une volonté politique pour les mettre en œuvre. Ensuite, il faut avoir un bon aménageur ce qui, me semble-t-il, n’est pas le cas de la Ville de Marseille. Ce n’est pas une question d’outils techniques. Sur place, à Marseille, j’ai découvert que la délégation locale de l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat ne savait même pas qu’elle pouvait directement aider les syndicats de copropriété à financer les travaux sur les parties communes. Or, c’est un outil qui facilite les choses. Cela coûte cher mais cela marche. C’est avant tout une question de volonté politique et de moyens pour agir. À Paris, nous avions dépensé des dizaines de millions d’euros pour réussir ce type de politique. L’idée n’est pas de dessiner un périmètre et d’agir en son sein mais d’agir à chaque fois qu’un immeuble est signalé. Un diagnostic était aussitôt fait et on déployait toute la boîte à outils pour agir à la mesure des problèmes. Quand personne n’a envie d’agir, il se passe ce que nous connaissons ces derniers jours à Marseille.
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