Radio Gazelle : trois présidents, 30 adhérents et un gros sac de nœuds

Elle a pour emblème une antilope, élégante et rapide, symbole africain du nord au sud du continent. À Marseille où elle émet depuis 1981, Radio Gazelle tient plutôt du marigot judiciaire où 30 crabes claquent des pinces.

Depuis plus de dix ans, un conflit oppose des administrateurs, réels ou fictifs, autour de la présidence de la mal nommée Association rencontre et amitié Radio Gazelle. Ses divers épisodes encombrent les tribunaux, du TGI de Marseille jusqu’au Conseil d’État et la cour de cassation. Le dernier coup de théâtre en date a entraîné une coupure de la diffusion sur le 98 FM durant plusieurs jours. Si elle a repris depuis, c’est dans une version plus qu’allégée.

Le mardi 17 avril au matin, Otmane Aziz se présente allées Gambetta à Marseille, où se trouvent les studios de la radio, accompagné d’un huissier. Fort de deux jugements de la cour d’appel qui le positionnent comme président, il profite de la garde à vue des trois principaux dirigeants de l’association. “Effectivement, j’ai été mis au courant de cette convocation des personnes qui squattent la radio, reconnaît-il. Et j’en ai profité pour mettre à l’abri le peu d’actif qui reste”. Unité centrale, micros et autre matériel quittent ainsi le siège de la radio pour un lieu indéterminé.

“Squatteurs” et “cambrioleurs”

Vue de l’autre bord, cette mise à l’abri est un “cambriolage pour lequel nous avons porté plainte”, affirme Nora Benkerfallah, la secrétaire générale de l’association. “Depuis 2014 et le décès de l’ancien président, je suis le seul président, affirme Mustapha Zergour. Personne ne peut se prévaloir de ce titre.”

Pourtant l’antenne locale du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le CTA, a signé une convention pour cinq ans avec Otmane Aziz qui a pris effet le 8 février dernier. Et selon son représentant, “Otmane Aziz est le seul président de l’association comme l’a confirmé la justice”. Une légitimité fortement contestée par Mustapha Zergour qui assure “que la Cour de cassation doit se prononcer sur ces arrêts d’ici la fin mai et permettre de tirer un trait définitif sur cette histoire”.

Le concurrent tapis

Une histoire qui, selon lui, s’enracine dans la volonté d’une radio concurrente, France Maghreb 2, de déstabiliser la voix historique des communautés à Marseille. “Je ne sais pas s’ils veulent nous prendre la fréquence ou notre disparition, mais ils sont derrière tout ça”, affirme Mustapha Zergour. En 2008, France Maghreb 2 s’était vu octroyer la fréquence de Radio Gazelle par le CSA avant que cette décision soit cassée par le Conseil d’État. Depuis elle a obtenu sa propre fréquence à Marseille. France Magreb 2 faisait également partie des plaignants devant la cour d’appel au côté d’Otmane Aziz en 2013.

Cette accusation de “faux-nez”, Otmane Aziz s’en défend vigoureusement. Il affirme n’avoir aucun lien “ni commercial, ni familial, ni professionnel avec Tarek Mami, le directeur de France Maghreb 2“. Et de préciser : “C’est un professionnel que j’admire mais dire que j’agis pour son compte est une insulte à mon intelligence et son intégrité.” Son combat acharné ne serait déterminé par sa seule volonté de redonner de la pluralité à une antenne confisquée.

Soupçons et garde à vue

Pour que le tableau soit complet, un président historique de la radio se dit légitimement élu. Il s’agit de Miloud Boualem, dirigeant local du Modem. Un temps allié à Otmane Aziz, il lui a confié la présidence de l’association en 2015 avant d’en récupérer les rênes en février 2017 au cours d’une assemblée générale où Otmane Aziz était absent. Quelques jours plus tard, en mars, Otmane Aziz faisait de même et se voyait réélu. “Avec des gens qui n’ont jamais été adhérents de l’association”, affirme Miloud Boualem.

Un autre compagnon de route historique de la radio, ancien secrétaire général, Nourredine Tellaa a également poursuivi la radio devant le tribunal administratif pour n’avoir pas pu participer à une assemblée générale organisée par Mustapha Zergour en mai 2015. “J’ai fait cela pour laver mon honneur et que mes droits soient reconnus, explique Nourredine Tellaa. Mais en me reconnaissant comme adhérent, le tribunal a annulé l’assemblée générale et l’ensemble des décisions prises par le conseil d’administration depuis”. Une décision que balaie Mustapha Zergour : “Il faisait cela pour obtenir une administration judiciaire qu’il n’a pas obtenu”. Quant à Otmane Aziz, il ne considère pas que “ce jugement lui soit opposable”.

Une poignée d’adhérents

Dans tous les cas, les adhésions qui permettent les élections des présidents concurrents sont une poignée : 30 pour Aziz, 18 pour Zergour, 10 pour Boualem. Aujourd’hui ce dernier se dit las : “Je n’ai plus l’âge pour toutes ces histoires. Il y a d’un côté Otmane Aziz qui agit pour France Maghreb 2 et de l’autre Mustapha Zergour qui a fait de cette radio un tiroir caisse.”

Car il y aurait surtout une affaire de gros sous. C’est d’ailleurs ce qui a amené Mustapha Zergour, Nora Benkherfallah la secrétaire générale et Richard Narainsamy, le trésorier d’être entendus par la police judiciaire en garde à vue pour des soupçons d’escroquerie et de faux et usage de faux. “J’ai moi-même porté plainte auprès du procureur, affirme Otmane Aziz. J’ai apporté les preuves d’un détournement des recettes publicitaires via une autre association, Gazelle TV. Il y en a pour plusieurs centaines de milliers d’euros. C’est pour cela qu’ils étaient convoqués.”

Enquête judiciaire

Les intéressés affirment, eux, avoir répondu à des questions “très générales” de la police judiciaire “durant toute une journée”. “Il a bien été question de Gazelle TV mais pas de recettes publicitaires”, complète Mustapha Zergour qui affirme par ailleurs ne plus avoir de compte en banque pour l’association depuis “deux ans”. “Otmane Aziz les a placés sous séquestre. Depuis nous vivons des dons des auditeurs”, affirme-t-il. Mais le président et sa secrétaire sont incapables de donner un montant pour leur chiffre d’affaires 2017. “Avec cette histoire, nous n’avons pas pu arrêter les comptes en avril”, explique Nora Benkerfallah.

Aucun des trois protagonistes ne peut citer un montant pour l’année précédente. “Quoi qu’il en soit les recettes publicitaires sont minimes”, affirme Mustapha Zergour. De son côté, Otmane Aziz évalue à 45 000 euros les recettes publicitaires pour le seul mois de ramadan. Ce sont donc les seuls dons qui permettent de payer 1000 euros de loyer mensuel et les frais courant de l’association. “Et pour chaque don, nous avons une facture”, affirme-t-il. De quoi répondre aux questions de la police, si la chronique judiciaire explore cette nouvelle rive du marigot.

 

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