Lionel Royer-Perreaut : “13 habitat était la base arrière d’un système clientéliste”

Depuis six mois, le logeur social du département des Bouches-du-Rhône, 13 habitat, a un nouveau président pour son conseil d’administration en la personne de Lionel Royer-Perreaut, maire LR (ex UMP) des 9e et 10e arrondissements et binôme de la présidente du conseil départemental, Martine Vassal. L’arrivée de la droite dans cette institution dirigée par la gauche depuis l’après-guerre aurait pu être un vrai séisme politique. Or, par certains aspects, il y a bien une continuité entre l’ancien conseil général de gauche et le nouveau conseil départemental de droite : il est perceptible dans les contentieux en cours comme dans l’effort de redistribution vers les communes des Bouches-du-Rhône. Par d’autres aspects, il y a une vraie rupture, perceptible dans l’orientation des politiques et le sens des coupes financières dans un contexte assumé de diète budgétaire. Martine Vassal poursuit le travail initié tout en imprimant sa marque, clairement à droite.

Dans cette galaxie du département et de ses satellites, 13 habitat occupe une place à part. Parce que Jean-Noël Guérini a commencé sa carrière professionnelle au sein de l’Opac 13 et son frère Alexandre ses bonnes affaires. Jean-Noël Guérini a lui-même présidé le premier bailleur social de la région dans les années 90 avant de laisser la place à des très proches.

Le dernier a avoir pris les rênes du premier office de la région était Christophe Masse. Il avait succédé à Jean-François Noyes, ancien conseil général, qui a été mis en examen pour association de malfaiteurs en vue de commettre les délits de trafic d’influence et de recel de trafic d’influence. On lui reprochait notamment d’avoir laissé agir Alexandre Guérini dont des écoutes judiciaires ont montré qu’il s’immisçait dans les embauches et l’attribution de logements par l’institution.

Avec la volonté affichée de tourner la page d’une longue histoire de l’office HLM du département, Lionel Royer-Perreaut a entrepris une remise à plat de son fonctionnement. Non sans quelques surprises. Au bout de six mois, difficile de lui attribuer le moindre bilan. La feuille de route qu’il se donne sera l’aune à laquelle on mesurera le chemin parcouru dans quelques mois.

Vous êtes le président du conseil d’administration d’une structure à l’histoire particulière. Qu’avez-vous découvert en vous installant dans votre siège, il y a six mois ?

Lionel Royer-Perreaut. DR

Lionel Royer-Perreaut. DR

Lionel Royer-Perreaut : En étant élu président de cette structure, je savais que j’acceptais une mission délicate et compliquée. J’ai découvert d’abord une maison attachante à l’opposé de l’image renvoyée habituellement avec des agents motivés qui aiment le métier qu’ils font. Le public est exigeant dans l’expression de ses attentes. Et, par là, le métier a considérablement changé. J’ai trouvé en arrivant des équipes très professionnelles, plutôt bien organisées.

Après, c’est une maison sédimentée par le poids de l’histoire et des pratiques. Elle avait besoin d’un grand coup d’oxygénation. 13 Habitat était engoncée dans des habitudes, des modes de fonctionnement. Il s’agissait de la base arrière d’un système clientéliste. Ces dix dernières années, il y avait une volonté très claire d’en faire un outil de propagande politique en donnant du travail à certains militants. La réalité que j’ai pu constater n’était pas de nature à bloquer l’entreprise. Pour parler clairement, il n’y avait pas d’emplois fictifs. 95% des personnels accomplissent leurs missions. Pour les 5% restant, il n’est pas réalisé à 100%.

Quelles ont été vos premières actions ?

J’ai fait le job. Je suis allé au contact des personnels au sein des 20 agences locales, à Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Martigues, dans le pays d’Aix… La réalité du  territoire, le personnel des agences, la clientèle, sont à chaque fois différents. J’ai rencontré l’ensemble des gardiens à la Friche Belle de mai et les 300 personnels du siège au parc Chanot. J’ai aussi remis à plat les relations avec les prestataires privés de 13 habitat en passant au crible l’ensemble des marchés. Travailler au bénéfice des gens qui ont moins ne veut pas dire négliger la qualité.

Parmi ses prestataires extérieurs, figurait le cabinet d’avocats de la femme de Jean-Noël Guérini. Est-elle toujours l’avocate de l’office ?

Nous arrivions à la fin des marchés d’avocat. On parle là de marchés à 30 000 euros, pas plus que ça. Il fait partie de ceux qui ont été relancés. Il se trouve que madame Guérini n’a pas été retenue par la commission d’appel d’offres.

La fille de Jean-Noël Guérini travaille-t-elle toujours pour l’office ?

Mademoiselle Guérini est au service juridique. Je n’ai rien à redire sur son travail.

Y avait-il un système politique lié à 13 habitat et mis en place à l’échelle du département ?

C’est très circonstancié à certaines agences, certains territoires. ll ne s’agit pas d’un système global. Encore une fois, 95% des personnels sont compétents et accomplissent un travail honnête et rigoureux. Il y a la nécessité de créer un lien, de les associer aux décisions, de faire avec eux.

Avez-vous l’impression que la politique de l’office était dictée par la géographie électorale ?

Disons que la précédente équipe avait les yeux de Chimène pour l’hyper centre-ville et certains quartiers Nord. Il est incontestable que certaines villes de moyenne importance étaient elles aussi choyées. Nous avons découvert que certains locaux dont nous étions propriétaires étaient mis gracieusement à disposition de certaines mairies quand d’autres payaient un loyer.

13 habitat avait souscrit à la fin de l’année 2008 des obligations auprès de l’État grec d’une valeur d’un million et demi d’euros. Qu’en est-il ? Y a-t-il d’autres placements douteux ?

C’est le seul. Il y avait effectivement des obligations grecques que j’ai soldées. Il est évident qu’on n’a pas gagné d’argent dans cette histoire et qu’on n’en aurait pas gagné. Il valait mieux arrêter ça.

Dans votre camp, certains vous reprochent en coulisses de “ne pas faire assez de clientélisme”. Qu’en dites-vous ?

Je pense qu’on peut reprocher à quelqu’un de faire du clientélisme mais il me paraît plus compliqué de lui reprocher de ne pas en faire. Mais peut-être que certains attendaient que je crée un pot commun d’attributions de logement. Au contraire, cela fait partie des choses que nous avons remises à plat. Je suis également très attentif aux éventuels recrutements. Auparavant, la politique était de recruter en externe. Je vais tâcher d’abord de remettre en place un système de promotion interne. Je fais en sorte que les candidatures passent par la direction des ressources humaines. De toute façon, baisser la masse salariale de l’office fait partie des recommandations de la Miilos (Mission interministérielle d’inspection du logement social) dont j’ai trouvé le rapport sur mon bureau à mon arrivée.

Vous avez remis à plat le fonctionnement de la commande publique. Vous aviez déjà mené une mission comparable à la communauté urbaine. Y avait-il urgence?

Notre volonté est de construire un vrai projet d’entreprise. Nous avons besoin pour cela d’un audit financier, d’une rationalisation de la commande publique. Par exemple, nous nous sommes aperçus qu’il y avait de fortes dépenses en construction avec 40 millions investis par an et très peu de travaux d’entretien notamment sur le patrimoine des années 60 et 70. Nous devons mettre en place un vrai plan de rénovation dans lequel chaque opération doit avoir son équilibre économique. Par exemple, nous perdons de l’argent sur notre patrimoine de la rue de la République. Cette opération a coûté fort cher et comme les loyers sont très bas, elle n’est pas équilibrée. Il y a une différence entre un bailleur social et une entreprise philanthropique, c’est une réalité comptable.

C’est dans le canton de l’ancien président du conseil général…

Je ne vous le fais pas dire. Un projet de rénovation comme celui-ci doit avoir son propre équilibre financier. Et ce n’est pas parce nous faisons du logement social qu’on ne peut pas assurer une forme de mixité. C’est la même chose pour les Flamants. C’est une opération où nous perdons de l’argent. Des plateaux de bureaux ont été créés pour le conseil général. Au bout de six mois, il s’est désengagé.

Allez-vous conserver les agents de paisibilité mis en place par votre prédécesseur?

Richard Miron [conseiller départemental LR, ndlr] a été chargé d’une mission sur cette question au sein de notre conseil d’administration avec les amicales de locataires et les représentants syndicaux. Si nous posons le postulat que cela coûte 1,9 million d’euros pour sept encadrants et 33 agents tous en emploi d’avenir, il y a matière à travailler à un schéma différent. Nous réfléchissons par exemple à déployer de nouvelles caméras de vidéo-protection et mettre en place un nouveau dispositif de médiation dédié aux conflits de voisinage. Il y a certainement une partie qui peut être faite par les gardiens.

Quant à la politique de lien social, nous devons en poser les grands principes à l’échelle de 13 Habitat. Cela ne sert à rien de faire une opération basket une fois par an, pour prendre en photo le président sur le terrain. Il vaut mieux proposer une aide sur le long terme en soutenant plutôt l’association qui récupère les gamins à la sortie de l’école pour du soutien scolaire.

Avez-vous rencontré des situations qui vous ont poussé à faire jouer l’article 40 du code procédure pénale qui oblige tout agent public à alerter la justice s’il constate des faits délictueux ?

Vous y allez fort… Disons que nous sommes en contact fréquent avec les représentants de l’État, que cela soit le nouveau préfet pour l’égalité des chances comme le préfet de police.

Avez-vous remis à plat le système d’attribution des logements sociaux ?

Cela faisait partie des préconisations de la Miilos (Mission interministérielle d’inspection du logement social). Les inspecteurs ont conclu que la commission d’attribution avait un fonctionnement opaque. C’est pourquoi j’ai pris moi-même la présidence de cette commission. Nous avons donc décidé de faire de vrais procès-verbaux de réunion avec une sténotypiste qui prend en note les débats. Le PV est ensuite adopté à la séance suivante.

Ensuite, nous avons remis à plat le système d’enquête sociale. En clair, il n’y avait pas d’enquête sur le contingent du département et pourquoi cela ? Parce qu’on transmettait les noms des candidats la veille pour le lendemain. Les maires faisaient leur proposition sur leur contingent et étaient prioritaires. Nous avions un système mis en place où les demandes de nos locataires qui remontaient de nos agences n’étaient jamais prises en compte parce qu’elles passaient après les propositions émanant des services du département. Nous avons mis fin à ce système en mettant en place des critères précis, des débats contradictoires et, surtout, des enquêtes sociales en amont des demandes de logement.

En 2012, le secrétaire général des territoriaux Force ouvrière Patrick Rué était cité dans des écoutes de la procédure Guérini comme poussant des dossiers de demande de logement. Il déclarait alors à Marsactu : “Qui est au conseil d’administration pour autre chose que pour faire passer les dossiers ?” Fait-il toujours partie du conseil d’administration ?

Il siège toujours. Ça, c’est certain. C’est le syndicat qui nomme son représentant. Vous savez si j’ai pris la présidence de la commission, ce n’est pas parce que je m’ennuie.

Au mois d’octobre, le tribunal administratif a déclaré comme n’ayant jamais existé la nomination comme directeur général de Gérard Lafont, un proche de monsieur Guérini. Cela a-t-il paralysé l’institution ?

Tout d’abord, j’ai fait savoir à monsieur Lafont – qui était très présent dans l’institution – que je ne ferai pas appel de cette décision. Pendant cinq semaines, nous n’avons pas pu passer de marchés ni réunir de jury d’attribution. Mais c’est terminé. Jeudi dernier le conseil d’administration a désigné madame Chiarisoli comme directrice générale par intérim. Elle était jusqu’à présent directrice générale adjointe en charge du contrôle de gestion et de l’audit interne.

Cela fait suite à un conflit avec un de ses prédécesseurs licenciés, Bernard Escalle, porté devant la justice administrative. Votre prédécesseur parlait d’une demande d’indemnisation supérieure à 1 million d’euros. Où en est-on dans ce dossier ?

On est bien loin des chiffres que vous avancez. Mais il y a ce à quoi il a droit et ce à quoi il souhaiterait avoir droit. Il aura ce à quoi il a droit, ni plus, ni moins.

 

Propos recueillis par Benoît Gilles et Jean-Marie Leforestier

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