
Le député RN Franck Allisio détourne les véhicules de service de la région à son profit
Le 22 novembre dernier, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur annonçait le déclenchement d’une enquête interne “confiée à l’inspection générale des services pour s’assurer de la bonne utilisation des moyens mis à disposition du groupe Rassemblement national“. Cette enquête faisait suite à la publication par Marsactu d’une vidéo montrant que les locaux du conseil régional mis à la disposition du groupe d’opposition servaient également au député Franck Allisio. On y voyait qu’ils étaient notamment utilisés pour inviter les citoyens de sa circonscription à une cérémonie de vœux à Marignane. Ces révélations n’ont rien d’un cas isolé.
Comme nous le dévoilions alors, le chef de file du RN à Marseille et dans la région a mis en place un cabinet à plusieurs étages, entièrement dédié à son activité politique tous azimuts. Le fonctionnement de ce cabinet met à profit les moyens matériels que la collectivité attribue au groupe d’opposition, en dehors de tout cadre légal. Par le passé, comme le conseil régional le mentionne dans son communiqué, des collaborateurs de groupe ont été condamnés pour un usage frauduleux de la carte de pointage. “C’était en 2018, du temps où Frédéric Boccaletti présidait le groupe, balaie-t-on au groupe RN aujourd’hui. Désormais, on fait très attention : c’est ceinture et bretelle.” L’expression est censée illustrer un souci exacerbé du respect des règles. Ceinture et bretelle ? Vraiment ?
L’usage des moyens de la collectivité ne se limite pas à quelques enveloppes et à des locaux comme base arrière. Marsactu a pu retracer une utilisation systémique des véhicules de service attribués par la région au groupe RN pour des évènements qui n’ont pas de lien avec l’institution régionale. Le député RN Frank Allisio et son équipe se complaisent dans un mélange des genres qui pourrait être interprété comme un détournement de fonds publics. C’est le cas de deux véhicules du conseil régional, que Marsactu a pu repérer à proximité immédiate d’évènements politiques du député Allisio. S’ils n’ont pas de voiture de service, les députés disposent pourtant de “facilités de circulation” et d’une enveloppe de 18 950 € par an afin de prendre en charge, entre autres, “les courses en taxi ou en VTC“.
Le 30 mars dernier, Franck Allisio organise une réunion publique à Vitrolles, dans la maison de quartier de la Frescoule. L’affiche et la communication sur les réseaux sociaux précisent bien que cette réunion est organisée par le parlementaire de la circonscription. Son adresse mail de l’Assemblée nationale apparaît sur les documents de communication. À l’arrière des bâtiments de la maison de quartier, une voiture blanche est garée parmi d’autres. Il s’agit d’une Peugeot 108, dont l’immatriculation démarre par les lettres EY. Sur ses comptes de réseaux sociaux, Marc-Antoine Ponelle mentionne sa présence “avec Franck Allisio” lors de cette réunion publique, avec une photo prise derrière le député.
Capture d’écran de la voiture de service garée à proximité de la maison de quartier de la Frescoule, le 30 mars.
Cette voiture a été attribuée à Marc-Antoine Ponelle dans le cadre de sa fonction de secrétaire général du groupe RN au conseil régional. Ce véhicule de service lui est mis à disposition “dans le cadre de l’exercice des missions confiées à l’agent”. Il fait l’objet d’une “autorisation de remisage” pour un an. En clair, l’agent qui en bénéficie peut garer ce véhicule professionnel devant chez lui et l’utiliser pour se rendre à son bureau. En revanche, “l’usage privatif est strictement interdit“, comme on peut le lire sur l’autorisation de remisage que Marsactu a pu consulter. Contactée, la région confirme la mise à disposition de ces deux véhicules et le strict encadrement de leur usage “limité aux missions confiées à l’agent dans le cadre de l’exe rcice de ses fonctions régionales” comme le stipule “une note de la directrice générale des services“.
Dans leur réponse, les responsables du groupe réfutent tout usage privatif des véhicules. En outre, ils précisent que “c’est bien le groupe qui est attributaire des véhicules” et non pas les personnes titulaires des autorisations de remisage. Ces trajets domicile/travail constituent “80 % de l’usage du véhicule pour Marc-Antoine Ponelle“, explique le groupe par mail.
En octobre dernier, le député Allisio organise une commémoration des massacres du 7 octobre 2023 en Israël. Là encore, Marc-Antoine Ponelle salue l’initiative du député sur les réseaux sociaux, avec une photo prise depuis les travées. Et là encore, le véhicule de service est garé à proximité immédiate de la salle. Le secrétaire général du groupe justifie cet usage par la présence de plusieurs élus régionaux, invités par le député. “Ma mission a été de les prendre en photo sur place et de les accompagner et rencontrer des membres de la communauté juive, détaille-t-il. Je précise que je n’y ai pas amené Franck Allisio, qui est venu par ses propres moyens.”
Cet usage limite n’est pas l’apanage du seul Ponelle. Le député Allisio n’est pas en reste. Lui aussi bénéficie d’un véhicule de service avec droit de remisage. Il s’agit d’une Citroën C3 de la même couleur. Marsactu a pu retracer sa présence à de nombreuses reprises durant ces derniers mois lors d’évènements politiques n’ayant rien à voir avec son mandat de conseiller régional. En 2024, les deux campagnes des élections européennes et des législatives anticipées ont accentué ce mélange des genres.
Le 5 mai, Franck Allisio met toutes ses forces dans la campagne. Le matin, il arpente le centre-ville de Marseille avec les militants du cru. Sur les publications des élus, on peut reconnaître des jeunes figures du parti, dont cette militante en pantalon rouge et blanc ou son camarade en costume noir. On y croise Louis Grégoire, collaborateur parlementaire et salarié du groupe au conseil régional.
Capture d’écran d’une publication de Franck Allisio.
Quelques heures plus tard, le groupe de militants est présent dans le Var pour accueillir le député et son collaborateur. C’est Louis Grégoire qui est au volant de la Citroën C3. La version de Franck Allisio est sensiblement différente : “Le 5 mai, j’ai utilisé la voiture du groupe pour me rendre à des rendez-vous politiques régionaux dans le Var. En revanche, j’ai laissé le véhicule pour être récupéré par un militant afin de me rendre à cette réunion.” Une version contredite par les images que Marsactu a pu consulter et que nous publions ici.
Le 16 mai à Sénas, le député RN Romain Baubry reçoit le candidat aux européennes, Matthieu Valet, septième sur la liste. Franck Allisio est présent et gare sa Citroën C3 juste devant la permanence de son collègue. Il dit y avoir été présent en tant que président du groupe au conseil régional…
La voiture attribuée à Franck Allisio devant la permanence du député Baubry.
Le 24 mai, le député Allisio invite les militants aixois à une “soirée spéciale européennes” en présence du maire de Beaucaire, Julien Sanchez, candidat à ces élections “sur la liste de Jordan Bardella”. En signature de l’invitation par mail que Marsactu a pu consulter, Franck Allisio mentionne son statut de député et de délégué départemental, mais ne fait pas mention de son rôle de président de groupe au conseil régional. Sur le parking, on trouve garées côte à côte les deux voitures de service. “J’étais effectivement présent à Puyricard, confirme Franck Allisio. Mon collaborateur m’avait amené avec son véhicule personnel. Monsieur Ponelle était présent, mais nous ne sommes ni arrivés ni repartis ensemble.” Les véhicules se sont-ils déplacés tout seuls ?
Au meeting de Marignane, cette fois-ci dans le cadre des législatives anticipées, Marc-Antoine Ponelle est au premier rang. Sur son compte Instagram, il publie une vidéo où on le voit recevoir le public, installer le pupitre pour les orateurs et accueillir ces derniers, Franck Allisio et son suppléant, le maire de Marignane Éric Le Dissès. Normal, puisque Marc-Antoine Ponelle doit à Franck Allisio sa nomination au poste de responsable de circonscription pour le parti frontiste. Ce qui est moins normal, c’est de retrouver la voiture de service du secrétaire général du groupe, garée ce soir-là rue du Stade, juste derrière la salle polyvalente qui accueille le meeting. L’intéressé nie être venu à Vitrolles avec ce véhicule présent, par hasard, à proximité du stade.
Le 12 juillet, Franck Allisio convie les militants à une grande fête estivale à la Palmeraie, à Borely, en présence des onze parlementaires élus dans le département. La voiture du conseil régional est tranquillement garée dans la cour, devant l’entrée du lieu privatisé pour l’occasion. “Le 12 juillet était une soirée de fin d’année scolaire, regroupant l’ensemble des élus du RN 13, y compris les conseillers régionaux, justifie Franck Allisio. Je suis intervenu en tant que président de groupe et patron départemental et régional du Rassemblement National. J’étais donc dans le cadre de ma mission de président de groupe au conseil régional.”
Quelques semaines plus tard, pour la rentrée du RN, Franck Allisio réunit ses troupes à la brasserie M dans le 11e. Le ban et l’arrière-ban du parti frontiste se retrouvent dans ces terres d’élections qui ont vu la tante du député, Monique Griseti, conquérir son écharpe de députée. Sur le parking, face à la salle, les deux véhicules de Marc Antoine Ponelle et Franck Allisio sont garés tête-bêche.
Au téléphone, le secrétaire général du groupe justifie ce déplacement en voiture de service par la présence sur place de nombreux élus du conseil régional qu’il accompagnait pour l’occasion. Effectivement, dans l’invitation de Franck Allisio, son statut de président du groupe RN à la région Paca apparaît, comme ceux de député et référent départemental. Mais c’est bien un évènement du parti dont il était question dans l’invitation, comme dans les publications sur les réseaux après la soirée.
Une fois réélu, le 19 septembre, Franck Allisio convie les électeurs de Sausset-les-Pins à une réunion “pour échanger avec le député“. Il s’y rend avec sa Citroën C3, qu’il gare sur le parking du port à quelques mètres du restaurant Le Quai.
Enfin, preuve supplémentaire de ce mélange de genres, Franck Allisio a l’habitude de placer sa cocarde de député sur son véhicule de service de conseiller régional. Comme en témoigne la vidéo ci-dessous, que Marsactu a pu authentifier. Le député ne nie pas l’avoir utilisée pour ce véhicule, préférant indiquer : “Je n’ai jamais utilisé la cocarde en roulant ou pour des facilités de passage.” De son côté, la région indique que la cocarde ne peut être apposée “de manière permanente” mais uniquement “le temps de conduite du véhicule“.
Enfin, le parti frontiste est tout à fait attentif au risque juridique que représente un tel usage des moyens des collectivités dans des évènements de campagne. Ils donnent parfois lieu à des remboursements de frais après la validation par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Ainsi peut-on lire, dans un mail envoyé par la direction du parti à tous les militants en juillet 2024 dans le but de réaliser une vidéo de soutien, un avertissement explicite :
“ATTENTION : pour respecter le droit électoral, merci de ne pas réaliser cette vidéo dans les locaux d’une entreprise, d’une collectivité ou d’une institution (Assemblée nationale, Sénat, Parlement européen, conseil régional, mairie, etc.) ni avec les moyens afférents à votre mandat (prestataire, collaborateur parlementaire, assistant de région, etc.)“
Il semble que ni Marc Antoine-Ponelle ni Franck Allisio n’ont pris le temps de lire ces petites lignes.
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