La Ville tente de réguler le cauchemar des livraisons en centre-ville

Une journée comme une autre, rue de Rome. En face du célèbre magasin de musique Scotto, un camion de livraison s’arrête en pleine voie. La place qui lui est pourtant réservée se trouve dix mètres plus bas. Mais il faut opérer un créneau serré pour s’y garer. Et une fois stationné, pas sûr que le camion aurait eu la place pour ouvrir son hayon. Le conducteur descend rapidement pour ouvrir la porte arrière et sortir des pianos. La scène se passe dans le calme. Elle est typique du centre de Marseille où les camions de livraison font quasiment partie du mobilier urbain.

Le dernier km en chiffres

En 2009, l’AGAM estimait à 9000 le nombre de livraisons chaque jour dans “le centre-ville”. D’après une enquête du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) sur la période 2010-2013, les livraisons se font à 71% en double file ou sur le trottoir.

“Tous les transporteurs m’ont dit qu’ils livraient d’abord le reste du département parce qu’ici ils pouvaient venir quand ils le voulaient et faire ce qu’ils voulaient”, expose Jean-Luc Ricca. Le conseiller municipal (AGIR) en charge de la circulation et du stationnement a “pris la décision de redéfinir de manière très précise la réglementation, c’est-à-dire revoir les horaires de livraisons et les gabarits pour réduire l’encombrement de la voirie et apaiser le centre-ville”. Ces mesures doivent entrer en vigueur en nombre, elles concernent surtout la livraison des commerces. Ce qui représente 40 % des mouvements, selon les chiffres du CEREMA.

Les magasins réticents à ouvrir plus tôt

Concrètement, deux zones ont été identifiées dans le centre-ville. L’une dite “à trafic régulé” (ZTR) n’autorise les livraisons que de 4 à 8 heures du matin pour les véhicules de plus de 7 mètres, avec un maximum à 12 mètres. Le reste du temps, la taille maximum sera de 7 mètres. Par ailleurs, les arrêts ne devront pas durer plus de 15 minutes. Cette ZTR s’étend sur un hyper-centre élargi, du Pharo à la préfecture et de la gare Saint-Charles à la Joliette.

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“Ces axes de contournement ont du sens, justifie Jean-Luc Ricca. Il fallait bien définir un périmètre, nous ne pouvions pas appliquer un règlement très strict sur un territoire beaucoup plus grand parce qu’après il faut du personnel pour contrôler. Et puis je veux un retour d’expérience”.

L’autre zone de réglementation concerne les aires piétonnes où les véhicules n’ont pas accès le plus clair du temps comme le Vieux-Port, le cours Julien, le cours d’Estienne d’Orves ou le Panier. Là, les livraisons s’étaleront de 6 h à 10 h en deux phases, selon la taille du camion. “Manque de pot, les magasins ouvrent à 10 heures”, ironise Nicole Richard-Verspieren, vice-présidente de la CCIMP et gérante du Sommelier rue de Rome. Conscient du mécontentement des commerçants, Jean-Luc Ricca estime que “tout le monde doit faire des efforts”. Ce qui a priori ne sera pas le cas.

“Nous ne savons pas quand nous nous faisons livrer, nous ne pouvons pas venir une heure plus tôt tous les jours. Quand on impose de venir à des horaires précis, il faut s’adapter aux commerces”, ajoute Nicole Richard-Verspieren pour qui “ça n’a pas vraiment été une concertation, tout était déjà fait quand on nous l’a présenté”. Pour Guillaume Sicard, président de la fédération d’associations de commerçants Marseille centre, ce sera aux transporteurs de s’adapter car seuls les véhicules “légers et non-polluants” seront autorisés à circuler en zone piétonne toute la journée. “Les grandes enseignes peuvent ouvrir plus tôt, mais pas les indépendants. Les livreurs vont devoir s’adapter”, avance-t-il.

L’inquiétude sur les places de livraisons

Reste à leur en donner les moyens. “Nous pouvons réaliser des livraisons propres, mais encore faut-il que les stations de gaz pour alimenter les véhicules. J’en ai longtemps demandé une à l’Anjoly à Vitrolles sans avoir de réponse de la métropole, c’est lorsque j’en ai parlé à Jean-Luc Ricca qu’ils ont pris le dossier en main”, explique Michel Mattar, président de TLF Méditerranée, principale fédération des acteurs de la logistique. Comme les commerçants, il attend de voir comment cela va se passer dans les faits. “On nous a dit que ce n’était qu’un premier jet, qu’il y aurait des modifications à apporter”, prévient-il. 

L’un des points soulevés concerne les espaces dédiés aux livreurs. Guillaume Sicard, par ailleurs gérant de la boutique Marseille en vacances située rue Bailli-de-Suffren, attend que “des espaces pour se garer soient intégrés dans cette requalification”. Pour sa part, Nicole Richard-Verspieren reste dubitative : “Les espaces aujourd’hui sont sous-dimensionnés, j’ai une place devant mon commerce où l’on peut mettre deux camions… mais sans qu’ils puissent ouvrir leur hayon”. Un avis que partage Michel Mattar : “Il manque des espaces et ils doivent être adaptés. Sur la rue de la République les alvéoles ne sont pas adaptées à des camions”.

Jean-Luc Ricca assure qu’il va demander à la métropole, en tant qu’aménageur, d’en créer des nouvelles. Il cite en exemple, “la rue de Rome sur la partie entre la Canebière et la Préfecture où seront installées des places à chaque intersection”. Surtout, le conseiller municipal veut “sanctuariser les 145 aires de livraisons” de l’hyper-centre trop souvent occupées par des particuliers. “J’ai participé à trois tournées avec trois transporteurs différents, j’ai pu le constater”, souligne-t-il.

35 ASVP pour contrôler

Pour faire respecter la règle, Jean-Luc Ricca compte s’appuyer sur une enveloppe de 1,5 million d’euros pour développer du stationnement intelligent. Soit des places capables d’identifier le temps que passe un véhicule sans bouger. Une livraison ne devant durer qu’entre 15 et 20 minutes pour être rentable pour le transporteur. Un système de ce type existe déjà rue Paradis avec des poteaux équipés d’un chronomètre lumineux. “Dans l’esprit cela sera la même chose, mais la technologie ne sera pas la même car elle est coûteuse”, précise Jean-Luc Ricca. Si la durée est trop longue, un signalement préviendra les agent de surveillance de la voie publique (ASVP) pour qu’ils puissent intervenir et sanctionner. Le durcissement des sanctions doit débuter dès le 1er juin. “Il faut une vraie volonté de sanctionner”, espère Guillaume Sicard.

Aujourd’hui, la Ville compte 35 agents. A titre de comparaison ils sont 88 à Lyon. “Le contrôle des aires de livraisons par les ASVP deviendra une mission prioritaire notamment dans les ZTR, promet Jean-Luc Ricca. Depuis le 1er janvier, nous avons externalisé le contrôle du stationnement payant, nos agents ne feront plus que le stationnement gênant ce qui nous permettra de travailler correctement”.

Même avec des places libres, décharger en pleine voie ou à cheval sur le trottoir en face du client est beaucoup plus rapide. “Peu importe la réglementation, ça ne sera pas applicable parce que les livreurs ont une grosse pression pour aller le plus vite possible et déposer un maximum de colis”, juge Jean-Luc Panayotis, de la CFDT Transport.  

L’e-commerce oublié

Et le nombre de paquets continue d’augmenter avec l’e-commerce qui représente un vrai enjeu sur l’occupation de la voirie par les livreurs. Un secteur avec une croissance de près de 15 % appelé à encore se développer. Mais les nouvelles règles de circulation ne concernent pas vraiment le phénomène puisque les véhicules de 7 mètres pourront toujours circuler en hyper-centre. “J’ai demandé à mes collaborateurs et à la métropole de réfléchir à un maillage de ce cœur de ville. L’idéal serait de faire des espaces de logistiques de proximité où les camions viendraient acheminer les marchandises qui repartiraient avec des véhicules plus petits. Nous sommes en train de chercher du foncier, nous commençons à en parler dans des réunions, ce sera la tâche de mon successeur”, estime Jean-Luc Ricca.

Une formule qui ne plaît pas vraiment à Michel Mattar. “Nous n’allons pas faire une nouvelle rupture de charge, cela augmenterait le coût. Le système actuel fonctionne bien”, juge-t-il. “Certains transporteurs sont réticents, mais d’autres mettent ce système en place”, nuance Clément Le Joubioux, gérant d’une société de livraison à vélo, qui y voit l’occasion d’augmenter son activité. À condition que ses vélos rentrent aussi dans les clous. “Des agents commencent à signaler à certains de nos livreurs qu’ils ne devaient plus prendre la voie de tramway de la rue de Rome, raconte le dirigeant. Le problème c’est que la piste cyclable de la rue Paradis n’est pas vraiment adaptée”. Encore un problème d’aménagement.

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