Didier Raoult inaugure son IHU Méditerranée Infection sur un mode défensif
Un coup de vent, frais et violent, en guise d’inauguration. Une plaque dévoilée en deux-temps, trois mouvements, une visite au pas de course et un discours à l’emporte-pièce. Le professeur Didier Raoult inaugurait ce mardi, l’institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Son IHU est “le plus grand investissement d’État jamais acquis pour un projet de recherche”, comme le définit son ami, le président (LR) de la Région, Renaud Muselier. Et pourtant le professeur Raoult est sur des charbons ardents. L’inauguration de ce projet à 160 millions d’euros se fait dans une inhabituelle discrétion.
Certes, le maire et président de la métropole est là comme ses homologues de la région et du Département. Ils ont largement participé au financement du bâtiment comme à l’équipement et au fonctionnement de la fondation qui le gère. Mais seul le préfet de région, Pierre Dartout, représente l’État, principal financeur de ce pôle d’excellence mondiale dans le traitement et la recherche contre les infections, avec notamment plus de 48 millions d’euros investis au titre du programme d’investissement d’avenir (PIA).
Didier Raoult avait un temps espéré la venue d’une ministre, Agnès Buzyn pour la santé ou Frédérique Vidal pour l’enseignement supérieur et la recherche. Aucune des deux n’est là pour lever le voile sur la plaque de marbre. En lieu et place, c’est Martine Vassal qui officie. Les têtes gouvernementales ne sont pas venues poser auprès de cette sommité de la recherche mondiale. Le micro-climat n’est pas bon autour des hôpitaux marseillais.
Comme le souligne Jean-Claude Gaudin, en sortant des rails de son discours : la précédente ministre, Marisol Touraine, n’est jamais venue à Marseille “même pas pour inaugurer La Timone 2, un investissement à 350 millions d’euros”. Les trois présidents de collectivités ont tous répété l’urgence financière dans laquelle se trouve l’assistance publique des hôpitaux de Marseille et leurs attentes d’un geste financier de la part de l’État. Agnès Buzyn a promis de venir dans les prochains mois. Mais pas pour l’IHU. “Ce n’est pas faute de les avoir invitées, explique Didier Raoult, lors du point presse. Mais il y a un problème en France de continuité de l’État. L’État s’engage mais les hommes changent et les choses ne suivent pas”.
Didier Raoult a un conflit ancien avec le mari de la ministre, par ailleurs PDG de l’Inserm, Yves Lévy, sur le modèle des IHU. Il l’a publiquement exprimé à plusieurs reprises et notamment dans un article du Canard qui soulignait le conflit d’intérêts patent entre une décision ministérielle sur le statut des futurs IHU et la position similaire du PDG de l’Inserm.
Quant au ministère de la recherche, c’est un autre dossier d’actualité qui rend complexe sa venue. Sur le bureau de la ministre, Frédérique Vidal, se trouve un rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la Recherche (IGAENR), bouclé en janvier dernier. Cette inspection a été diligentée par la ministre pour tirer au clair les éléments rapportés lors d’une visite d’une délégation des quatre CHSCT des tutelles de l’IHU (IRD, Inserm, CNRS et AMU). Cette visite alertait notamment sur des cas de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle au sein de l’IHU (lire notre article).
En plus de cela, la fin de l’année a apporté une autre nouvelle négative pour l’IHU et Didier Raoult décide de l’évoquer à l’attaque de son discours alors qu’il rappelle les membres fondateurs de son institut : “Entre temps l’Inserm et le CNRS nous ont lâché”. Envoyée comme une bombe, la phrase nécessite précision. En 2017, les conseils scientifiques des deux principales institutions de la recherche française étaient invités à donner un avis sur le maintien de l’octroi de leur label aux deux nouvelles unités de recherche, Mephi et Vitrome, issues de l’Urmite, unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes, dirigée jusque-là par Didier Raoult. Or, les conseils scientifiques des deux institutions ont rendu des avis défavorables, avis suivis par les deux directions.
Si les deux unités conservent la labellisation de l’Université, du service de santé des armées et de l’institut de recherche pour le développement, le retrait de l’Inserm et du CNRS n’est pas une bonne nouvelle pour l’Urmite et celui qui la dirige. Didier Raoult la contrebalance en mettant en avant les publications scientifiques de son institut, “50% supérieures en nombre à celle des trois IHU parisiens et de celui de Strasbourg”, insiste-t-il.
Ce mode défensif se poursuit dans le “show-room” où Didier Raoult a décidé de répondre à la presse. Son IHU, c’est le meilleur de France, “Son avenir est assuré pour les dix prochaines années. Nous avons eu le plus gros investissement mais les deux-tiers ont servi à faire du patrimoine en construisant un bâtiment hyper-moderne. Les autres ont tout mis dans la recherche pour des performances moindres”.
Quant à la visite des CHSCT qui lui ont valu une année médiatique difficile, il en fait une “prophétie auto-réalisatrice” liée aux difficultés du déménagement. “Un déménagement, cela froisse toujours les gens. Je l’avais dit : cela risque de nous exploser à la gueule”, insiste-t-il. “Ensuite cela a pris une ampleur disproportionnée quand les syndicats s’en sont emparés et notamment un syndicaliste qui ne foutait plus rien. Depuis nous avons fait évolué pas mal de choses. Cela nous a même donné des idées. Comme tout est parti d’une lettre anonyme, on a mis une boîte à idées où les gens peuvent faire des suggestions de manière anonyme”. Il se félicite d’ailleurs du taux d’absentéisme extrêmement bas des personnels de l’AP-HM “à 4%” et “3% pour ceux de l’université” attachés à l’IHU. “Cela veut bien dire qu’ils sont contents et ce n’est pas l’avis de sept personnes qui prime sur celui des quelques 700 que compte le bâtiment”, insiste-t-il.
Quant aux accusations de harcèlement et agressions sexuelles portées par des employées de l’IHU à l’encontre de plusieurs chercheurs, il les balaie d’une formule : “Je vous remercie d’avoir décrit ce lieu comme un lupanar. J’ai fait installer un distributeur de préservatifs”. Même sur le mode de l’humour, une telle allusion paraît pour le moins déplacée alors que plusieurs plaintes ont été déposées auprès du procureur pour des faits présumés d’agression sexuelle.
“Mais vous n’êtes pas la justice, ni la police, s’emporte-t-il. Si le CNRS a voulu rendre la justice avant que celle-ci se prononce, ce n’est pas plus à vous de le faire”. Il évoque le cas de E.G., chercheur accusé par deux de ses collègues de harcèlement sexuel et révoqué de la fonction publique par une Commission administrative disciplinaire en octobre. Or, en décembre,une décision de justice en référé a cassé cette sanction. E.G. a donc été repris ses fonctions en janvier 2018 au sein du CNRS même s’il a été tenu éloigné du service où il pouvait croiser ses accusatrices. Un recours contre cette décision est en cours d’examen devant le conseil d’État. Quant aux enquêtes en cours, nul n’en connaît l’issue même si Didier Raoult assure avoir déjà des certitudes sur ce plan là.
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