À la Capelette, des archéologues ouvrent une fenêtre sur l’histoire lointaine de Marseille
Il y a foule sur ce terrain vague, en ce jeudi après-midi. La presse s’est déplacée en masse. Quelques élus sont là aussi. Ce n’est pas tous les jours que l’histoire émerge ainsi, à l’occasion d’une campagne de fouilles de l’institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Dans quelques semaines, doit commencer ici le chantier du groupe scolaire de la Capelette, attendu depuis des lustres par les habitants des immeubles voisins. Pour l’heure, c’est l’âge de bronze qui affleure sous les binettes des archéologues.
Au centre du terrain décapé depuis novembre, ils s’affairent dans de petites fosses et révèlent patiemment les traces d’un mur en briques de terre crue. Bonnet et chapeau en tête, le “fouilleur” comme il se définit lui-même est un des doyens de l’équipe. Avec des gestes précis, il fait apparaître les traces humaines les plus anciennes du site, évalué à la louche entre 1400 et 1300 ans avant notre ère. Son collègue enfourne un minuscule débris brun dans un sac, où on peut lire “faune” au feutre noir. “C’est un os animal, explique l’archéologue. Des spécialistes nous diront de quelle espèce il s’agit, ainsi que l’âge où il a été tué. Cela permet de savoir si les habitants des lieux l’élevaient pour le lait ou pour la viande“.
Il est en tout cas certain que cet os animal appartient à la même couche que les autres vestiges proto-historiques collectés. Les tessons de céramique retrouvés sur place permettent de viser avec certitude cette période lointaine, “à un siècle près”. Sa collègue, Julie Labussière, sort d’un autre sachet deux éléments de poteries : le fond sombre d’une jarre et un “cordon digité“. “Il s’agit d’une décoration typique de cette période, explique la responsable archéologie de proto-histoire. Il s’agit d’un boudin de terre qui était collé sur le ventre de la poterie et sur lequel le potier faisait ces marques régulières du bout du doigt“.
Les fouilles ont mis au jour des squelettes remontant à l’âge de bronze, jusqu’à 1400 ans avant notre ère.
Les archéologues ont découvert, un peu plus loin, une coupe en céramique qui pouvait être une urne funéraire. Les restes d’un enfant affleuraient à proximité. “À ma connaissance, c’est le premier squelette de cette époque découvert à Marseille”, s’enthousiasme Nicolas Weydert, le responsable scientifique des fouilles. Les vestiges de l’âge de bronze sont rares et ici se mêlent les signes d’activités successives. Une vaste fosse, sans doute d’extraction d’argile destinée à la poterie, a ensuite été utilisée comme habitat. “On trouve à la fois, des trous de poteaux ou de piquets et des silos qui servaient à stocker la nourriture. On note aussi cette base de mur en terre cuite qui laisse penser à un mode d’habitat plus pérenne“, souligne l’archéologue.
Le regard béotien peine à distinguer ces traces d’une humanité lointaine dans l’entremêlement des creux et des bosses où les scientifiques s’affairent. Là, une couleur plus sombre indique que la cendre d’un foyer a été jetée. Le doyen des fouilleurs explique comment l’expérience lui permet de distinguer au toucher “de la pointe de sa binette” le substrat sédimentaire d’une brique crue, façonnée il y a quelques milliers d’années.
Dans un saut de puces de 1000 ans, d’autres collègues s’affairent autour de tombes du haut Moyen-Âge. “Jusqu’à ce matin, nous avions 90 tombes, on vient de trouver la dernière“, se félicite Nicolas Weydert.
Les deux genoux sur un tapis en caoutchouc, une de ses collègues officie, un outil de dentiste à la main. Un peu plus loin, Sandy Parmentier, effeuille les différents croquis qui décrivent la position des ossements “en réduction” retrouvés au pied d’un autre squelette. “Il s’agit certainement de la réutilisation d’une tombe existante, décrit l’archéo-anthropologue. Avec un adolescent dont le squelette était entier“. Son colocataire a eu moins de chance. Le pilier d’une huilerie installée sur le site au XIXe siècle a fait disparaître le haut de son corps.
Les restes du jeune homme, eux, sont tous présents. Ils sont rangés par catégorie d’os en attendant d’être nettoyés à l’eau et analysés dans le détail, en laboratoire. Sandy Parmentier montre comment la tête d’humérus, incomplète, permet d’identifier qu’il s’agissait d’un adolescent dont la croissance n’était pas finie.
Mais leur maintien pendant des siècles entiers sous le poids d’une usine a fragilisé les os qui s’effritent rapidement une fois qu’ils ont été sortis de terre. Parmi ces tombes, trois présentent des restes d’enfants associés à ceux d’un adulte. “Ce n’est pas inhabituel, reprend Nicolas Weydert. Ce qui surprend ici, c’est le fait d’en trouver trois sur 90 tombes“.
Le scientifique n’ira pas beaucoup plus loin dans l’analyse. On ne sait pas grand-chose du peuple qui fréquentait les lieux. “Il faut se dire qu’à cette époque, Marseille se limitait à l’actuel Panier. La ville a longtemps été plus petite que La Ciotat”. Nul ne sait qui vivait donc dans la grande banlieue qu’était La Capelette. Les tombes elles-mêmes laissent peu d’indices sur les habitudes des vivants. Peu d’objets, quelques bijoux, simples anneaux de cuivre ou de fer. “Un seul personnage présente un objet à motif floral sous la nuque et une boucle de ceinture de style mérovingien”, poursuit le directeur scientifique. Mais n’allez pas dire que les habitants étaient eux-mêmes mérovingiens. On dit qu’ils ne sont pas allés au-delà de Cavaillon“.
L’analyse en laboratoire permettra d’en savoir plus sur les habitudes alimentaires, l’état de santé ou l’âge des personnes décédées. La datation au carbone 14 précisera – à 30 ans près – l’époque où ils vivaient et les trois phases distinctes durant lesquelles le cimetière était en activité. Pendant ce temps, d’ici au 10 mars prochain, les archéologues auront recouvert le chantier de fouilles pour laisser place à l’entreprise générale qui doit démarrer le chantier de l’école.
Des tuiles romaines qui servaient à recouvrir les tombes seront mises en valeur dans la future école de la Capelette. Quant à la suite de l’histoire du quartier, il faudra attendre la démolition de l’ancien magasin de sanitaire, sur la parcelle voisine, pour voir y éclore un nouveau chantier de fouilles préventives.
Avec Coralie Salle
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