Procès des fausses procurations : “Ça s’est toujours fait en mairie” des 11/12
Il est 16h et, enfin, le procès entre dans le vif du sujet. Joëlle Di Quirico est à la barre, cheveux courts et blonds, veste beige. Sa voix flûtée hésite parfois. Mais l’ancienne secrétaire de mairie des 11e et 12e arrondissements et ex-colistière de Julien Ravier, maire Les Républicains de ce secteur jusqu’aux municipales de 2020, sait aussi se montrer claire. “Il [Richard Omiros] a dit : c’est vous qui signerez. Il m’a fait un signe de la main, comme ça.” Joëlle Di Quirico mime une signature dans l’air de la salle du tribunal. “Il a ajouté : c’est légal et ça s’est toujours fait en mairie.”
Après des heures d’atermoiements sur des questions de procédures, la réalité des faits saute aux yeux de tous. Ce lundi 23 septembre, dans les murs de la salle d’audience hors norme de la caserne du Muy, s’ouvre le procès des fausses procurations de la droite dans les 4e et 6e secteurs durant les élections municipales de 2020. “Une fraude avec trois types de procurations litigieuses”, synthétise le président de la 6e chambre correctionnelle, Pascal Gand. Sur les 194 procurations sur lesquelles vont porter les débats : “51 sont rattachées à des mandats d’un Ehpad, 112 à des résidents des 11/12, hors Ehpad, et 31 dans les 6/8.” Il entend donc scinder les débats en trois temps distincts. En commençant par les faits les plus dérangeants : les procurations réalisées sans leur accord pour 51 résidents d’un Ehpad, la Résidence Saint-Barnabé.
En juin 2020, la révélation de ces faits pouvant relever des chefs de faux et usage de faux déclenche une déflagration politique inédite à Marseille. Ils amènent, durant toute la semaine, 13 prévenus devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille. Parmi eux, deux anciens maires, Les Républicains, de secteurs : Yves Moraine, ex-premier magistrat des 6/8, et Julien Ravier, sortant dans les 11/12.
Nous sommes en mars 2020, rembobine Joëlle Di Quirico à la barre. À quelques jours du premier tour des élections municipales, la campagne électorale entre dans la dernière ligne droite, celle où il faut gagner les suffrages, coûte que coûte. Quitte, dans les 11/12, à sortir des clous de la loi. Joëlle Di Quirico raconte comment, à cette époque, elle est chargée, avec Richard Omiros, alors directeur de cabinet et de campagne de Julien Ravier (LR), de réceptionner des procurations au sein de l’hôtel de ville du 6e secteur. Le tout sous l’œil de Claudine Hernandez, directrice générale des services dans les 11/12 et mandataire financière de la campagne de Julien Ravier. Des procurations réalisées sans que la secrétaire ne rencontre ni le mandant (la personne qui désire faire une procuration), ce qui est contraire à la loi, ni le mandataire (celui ou celle qui ira voter à sa place). Sa mission : remplir des imprimés “qui sont vierges” et assigner, à chaque mandant, un mandataire pioché parmi les sympathisants ou élus LR du secteur, “au hasard”.
Ce sont des personnes dépendantes, fragiles, présentant des troubles cognitifs importants.
Les enquêteurs
Elle est chargée de récupérer une enveloppe à la Résidence Saint-Barnabé dans le 12e arrondissement marseillais. Sur la centaine de personnes âgées qui vivent dans cette maison de retraite, 51 vont bénéficier de procurations sans les avoir sollicitées. Rares sont celles d’ailleurs dans l’établissement à pouvoir le faire. Les résidents ont 90 ans en moyenne. Certains souffrent de la maladie d’Alzheimer. “Ce sont des personnes dépendantes, fragiles, présentant des troubles cognitifs importants”, soulignent les enquêteurs lorsqu’il se rendent sur place.
Joëlle Di Quirico et Valérie Deconi, qui lui succède au poste de secrétaire de la DGS Claudine Hernandez, décrivent toutes deux un système bien huilé. Sur la table ronde qui siège dans le vaste bureau de la DGS, on étale ces procurations à remplir et signer. L’enveloppe transmise à la secrétaire de mairie contient les copies des cartes d’identité, fournies par la direction de l’Ehpad, assorties d’une attestation sur l’honneur d’incapacité de se déplacer et d’un certificat médical réalisé par un médecin d’Aubagne. Un texte manuscrit qui assure de l’état de santé du résident, toujours le même, 51 fois. “Au début […], j’avais pas très bien compris, déclare Joëlle Di Quirico. Mais je suis quand même pas benête [sic]. Je lui ai dit [à Richard Omiros] : C’est quoi, ça ? Il n’y a ni mandant ni mandataire. Il m’a répondu : c’est particulier cette année à cause du Covid.”
Le nombre inédit de votants par procuration issus de cet Ehpad alerte tout de même les assesseurs dans le bureau de vote 1203, le 15 mars 2020, jour du premier tour. C’est le cas de Cécile Vignes, élue sans étiquette sur la liste du dissident de droite Robert Assante : “J’ai reconnu [comme mandataires] des militants et des gens qui ont des responsabilités au sein du parti LR de madame Vassal. Ils arrivaient avec des noms sur des petits bouts de papier. Ils ne savaient pas pour qui ils devaient voter. C’était choquant”, se remémore-t-elle à la barre.
Ma mère souffrait de démence sénile. Elle n’était pas en capacité de pouvoir exprimer un choix éclairé sur le sujet.
Marlyse, fille d’une résidente
Ni les résidents ni leurs familles ne sont avisés de la démarche de la mairie des 11/12 en lien avec l’Ehpad. Comme en témoigne Marlyse. Cette Marseillaise de 73 ans s’est constituée partie civile à l’ouverture des débats. Sa mère Odette, âgée de 92 ans en 2020, résidait à la Résidence Saint-Barnabé. “Un jour, dans sa chambre, je trouve un papier de la Ville de Marseille qui dit qu’elle a été inscrite sur les listes électorales à Marseille, alors qu’elle votait à Cadolive. Elle souffrait de démence sénile. Elle n’était pas en capacité de pouvoir exprimer un choix éclairé sur le sujet. C’est clair et net. C’est un procédé lamentable, odieux. Si je ne m’en étais pas rendu compte, si je n’avais pas réagi, elle aurait voté. Mais comme j’avais un doute, je suis allée vérifier que ce n’était pas le cas au premier tour. Là, j’ai vu un scrutateur. Il disait qu’il y avait au moins 50 procurations de personnes venues de l’Ehpad d’à côté. C’était la confirmation de mes craintes.”
À la barre, l’ancien directeur de l’Ehpad Taoufik El Khemiri, qui est également poursuivi, assure, d’un débit de mitraillette difficile à suivre, être étranger à ces faits. Il peine à convaincre tant les mails et SMS versés au dossier sont éloquents. Ses échanges avec Richard Omiros laissent d’ailleurs entrevoir un système de clientélisme avec renvoi d’ascenseur lorsqu’il sollicite auprès du directeur de cabinet de Julien Ravier l’obtention d’appartements dans les 11/12 pour deux collaboratrices. Julien Ravier lui a été présenté par Julien Ruas (conseiller municipal d’opposition LR). Il n’a rencontré l’ancien maire du 6e secteur que deux fois, à l’Ehpad et à l’Open 13, où tous deux étaient invités. Ses échanges, nombreux, avec Julien Ravier montrent néanmoins qu’il prospecte pour lui et Les Républicains dans son cercle proche. Dans un texto, le directeur d’Ehpad s’enquiert auprès de Julien Ravier: “Comment va Valérie ?”, lorsqu’il apprend que Valérie Boyer, ancienne maire de secteur (LR également), a contracté le Covid-19.
À la mairie des 11/12, autour de la table ronde, on remplit donc les procurations. Parfois, on tient une réunion pour faire le point avec des élus, dit Joëlle Di Quirico. Dommage, le président Gand ne lui demande pas lesquels. À cette table, Roland Chervet, commandant de police, s’assoit lors de ses venues. “Lorsque les procurations étaient prêtes, qu’il y en avait assez, monsieur Omiros nous disait d’appeler monsieur Chervet. Il se déplaçait et les validait dans le bureau de madame Hernandez”, reprend-elle.
Joëlle Di Quirico regrette d’être celle sur laquelle on empile les responsabilités. Elle, la secrétaire entrée en poste en 1995 à la mairie de secteur, et qui émarge à 1700 euros en fin de carrière, sent bien qu’on cherche à lui faire porter un chapeau trop grand pour elle. Lorsque les révélations éclatent, Roland Chervet, l’officier de police, demande expressément qu’elle se dénonce comme celle qui a rédigé toutes les procurations. Certes, elle ne nie pas avoir été au cœur du système, mais affirme répondre aux ordres : “Moi, je n’ai obligé personne. Je suis secrétaire depuis 42 ans en catégorie C. Ce n’est pas moi qui vais donner un ordre à une DGS, un élu ou un directeur de campagne. J’avais aucun intérêt.” Elle siège pourtant dans une réunion où Julien Ravier, Valérie Boyer et Richard Omiros évoquent le cas du directeur de l’Ehpad qu’il convient d’aider.
La secrétaire dit aujourd’hui avoir la sensation qu’on s’est “servi” d’elle. Sa voix se brise un peu. À l’époque, elle pensait qu’elle serait élue dans la majorité de Julien Ravier. Joëlle Di Quirico figurait en 24e position sur la liste LR. Elle s’est d’ailleurs acquittée, à la demande de l’ancien maire, d’un chèque de 5000 euros à destination de l’association des Amis de Martine Vassal. “On te demande une participation, c’est la condition pour que tu sois sur la liste”, lui aurait alors expliqué Richard Omiros. “Julien Ravier m’avait dit qu’ils seraient restitués”, regrette aujourd’hui l’agente retraitée. Il n’en a rien été : “Un an après, j’ai reçu un courrier de madame Vassal pour me remercier de mon don. Pour moi, ce n’était pas un don, mais une participation aux frais de campagne.”
Comme pour les procurations, l’ancienne secrétaire martèle que Claudine Hernandez, DGS mais aussi mandataire financière de Julien Ravier, ne pouvait, non plus, ignorer ce versement. On n’entendra pas la version de l’ex-directrice générale des services. Absente des débats pour un état “dépressif”, affirme son avocat. Comme l’officier de police Roland Chervet et l’ancien directeur de cabinet Richard Omiros. “Tout le mondes est malade dans ce procès…”, pique le président.
Avec la moitié de l’état-major des 11/12 absent, cela devient un procès de papier dont on ne tirera aucune vérité judiciaire, et donc aucune vérité politique.
Un avocat
Hospitalisé dans une clinique psychiatrique, Richard Omiros est “un homme qui s’effondre de l’intérieur”, selon les mots de Claude Deboosere-Lepidi, son conseil. Le tribunal a bien cherché à l’obliger à venir à la barre après une expertise médicale. En vain. Il est pourtant décrit comme l’homme-orchestre de ce système frauduleux dans les 11/12. Roland Chervet, dont Pascal Gand souligne “le rôle transversal”, a également choisi de ne pas comparaitre. En poste dans le 8e à la police-secours au moment des faits et ancien chef du commissariat du 12e, il a validé et tamponné toutes les procurations du dossier. “Il remplit des procurations depuis que je le connais”, indique un de ses collègues aux enquêteurs.
Avec ces trois absents, ce sont trois ressorts essentiels de la machine à fabriquer des procurations dans les 11/12 dont il faudra se passer pendant les débats. Au risque de n’avoir des faits qu’une vision parcellaire, de n’en saisir que la surface. Un avocat soupire : “Avec la moitié de l’état-major des 11/12 absent, cela devient un procès de papier dont on ne tirera aucune vérité judiciaire, et donc aucune vérité politique.” Le tribunal a jusqu’à vendredi pour démontrer le contraire.
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