[La gloire de nos pierres] Les Charmerettes ou la dernière bastide suisse du Cabot

Échappée
le 14 Sep 2019
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En ruines, reconverties ou entourées de barres d'immeubles, quelques dizaines de bastides d'antan ont survécu à Marseille et alentours. Elles rappellent un passé bourgeois bucolique façon Pagnol, mais témoignent aussi des inexorables métamorphoses du paysage urbain. Dernier volet de notre série avec la dernière bastide suisse du Cabot.

[La gloire de nos pierres] Les Charmerettes ou la dernière bastide suisse du Cabot
[La gloire de nos pierres] Les Charmerettes ou la dernière bastide suisse du Cabot

[La gloire de nos pierres] Les Charmerettes ou la dernière bastide suisse du Cabot

Depuis le chemin de la colline Saint-Joseph rien ne laisse soupçonner que le n°5 de cette rue serpentine bordée de résidences cossues cache une enclave suisse. Deux piliers encadrent un portail garni d’un gazon en plastique verdoyant. Entre les brins verts, on voit la façade éclairée de la bastide des Charmerettes. Le gazon est la seule touche alpestre de ce vestige de la présence suisse à Marseille.

Ici le massif des Calanques en arrière-plan tient lieu d’horizon bleuté des Alpes. Les seules hauteurs sont celles des immeubles qui encadrent de toutes parts le domaine bastidaire. Pour le reste, rien ou presque ne rappelle la propriété helvète. Si ce n’est un drapeau suisse, sur un des flancs du Grütli, le pavillon aux volets verts qui jouxte l’entrée de la propriété. C’est le seul endroit encore utilisé par les ressortissants de la communauté pour des barbecues ou un tournoi de pétanque.

Le Grütli où la fondation organise encore quelques festivités pour la communauté.

Une gloriette en bois, dernier signe d’un lieu de villégiature

La bâtisse elle-même est loin des allures aristocratiques que se donnent certains domaines du nord ou de l’est de la ville (lire notre article sur la Guillermy). Point de tour crénelée ou de tuiles vernissées. Il n’y a guère qu’une gloriette en bois un peu décatie pour témoigner du passé de villégiature bourgeoise que la bastide a dû un temps incarner. Depuis quelques lustres, le bâtiment tombe lentement dans la décrépitude et l’oubli. Le parc lui-même n’est que l’ombre de ce qu’il a été. Des troncs et bûches témoignent des coupes que le propriétaire a dû ordonner. Il s’agit d’une fondation de droit helvétique, Helvetia Massilia, à l’origine de l’installation à cet endroit d’un foyer pour les anciens et indigents de la communauté.

Le lieu est acquis par deux familles à la fin des années 1920, les Angst et Zollinger, pour éviter à leurs compatriotes de vivre leurs derniers jours dans la pauvreté. Ces débuts empreints de charité contrastent avec la dernière actualité du lieu. Car les dernières années du foyer ont donné lieu à une ardente bataille juridique entre le foyer helvétique des Charmerettes, une association de droit français qui avait élargi son accueil bien au-delà des ressortissants, et la fondation de droit suisse qui entendait récupérer son bien au profit de ses seuls ayant-droits. Le différend a donné lieu à des procédures sans fin devant les tribunaux français. Et le débat est même remonté jusqu’au conseil fédéral suisse.

Sur le flanc de la bastide, les vestiges d’une gloriette ajourée.

Interpellation d’un parlementaire suisse

En 2011, un conseiller du parti bourgeois démocratique, Werner Lungibühl, s’inquiète dans une interpellation écrite du risque de spéculation sur le domaine des Charmerettes : “La valeur du domaine est estimée à un montant compris entre 18 et 20 millions d’euros. Rien d’étonnant donc à ce que des groupes immobiliers méridionaux convoitent ce terrain dont les deux tiers sont constructibles.” 

Car plus que la bâtisse, ce sont les 3,5 hectares de natures en pleine ville qui font la valeur du site. Depuis 2012, le différend s’est éteint avec la liquidation définitive du foyer helvétique et le départ des dix-huit derniers pensionnaires. Mais par la suite, aucune grue n’est venue pointer d’ombre prédatrice sur le domaine et ses beaux cèdres.

Un projet d’urbanisation niché dans un appel d’offres

Jusqu’à ce qu’au creux de l’été, La Marseillaise déniche un projet d’urbanisation, cité dans un appel d’offre du boulevard urbain sud (BUS) dont un des tronçons doit passer en bordure de parcelle, offrant ainsi un accès direct aux quelque 80 logements projetés. Un promoteur est même cité, le groupe Spirit, dépositaire d’un permis de construire sur une parcelle en bordure de prairie. De quoi agiter les militants du collectif anti-nuisances Boulevard urbain sud. Depuis, un extrait de l’article de la Marseillaise circule sous forme de tract, assurant une plus large diffusion. Pour les opposants à la destruction d’une partie du parc de la Mathilde et des jardins familiaux Joseph-Aiguier tout proche, le projet apparaît comme un signe supplémentaire du caractère destructeur de l’artère projetée.

Tout ceci fait doucement soupirer l’actuel président de la fondation Helvetia Massilia, Valéry Engelhard, lui-même franco-suisse. Lorsqu’il s’est vu proposer de prendre la succession de l’ancien président, consul de la Suisse à Marseille, ce dernier ne s’attendait pas à gérer de tels dossiers. “On m’a dit tu verras, c’est honorifique et je n’ai pas vu le loup. Dès le premier été j’ai eu à gérer des problèmes de sécurité avec les jeunes du quartier qui venaient faire des barbecues et tirer des feux d’artifice. Mon premier acte de président a été un procès pour diffamation lié aux tensions entre les ressortissants suisses de Marseille”.

25 000 euros de frais annuels

Il assure depuis ne gérer plus que les pertes que ce domaine occasionne. “Il nous coûte 25 000 euros par an, assure-t-il. Pour le gardiennage, les impôts, l’élagage des arbres morts…” Dans la colonne “ressources”, il n’y a guère que les fonds propres dans lesquels le président puise pour payer les dépenses courantes.

Je n’avais que trois solutions : vendre tout et la direction des affaires internationales, notre tutelle à Berne, s’y oppose, résume Valéry Engelhard. Alors il fallait laisser la bastide et le domaine continuer à dépérir ou gérer en bon père de famille en valorisant une partie du domaine pour permettre de réhabiliter la bastide et une partie du parc“. Le but est d’en faire un lieu d’accueil et de réception à destination des membres de la communauté. Quant au parc, il pourrait trouver une vocation publique, encore en discussion avec les collectivités. Cité par La Marseillaise, le maire de secteur Lionel Royer-Perreaut (LR), y verrait bien une forme de compensation de La Mathilde dont le BUS va réduire à rien la surface.

Abandon et fientes de pigeons

L’intérieur de la bastide est aujourd’hui très abîmé. Des traces de moisissures laissent penser à des problèmes de toiture. Remis à neuf de nombreuses fois, les lieux n’ont plus guère le charme bourgeois des maisons de maître. Il reste quelques cheminées en marbre, un sol en mosaïque et une étrange peinture “tous pour un et un pour tous” qui encadre une croix suisse. Sur la porte des chambres, demeurent les photos des résidents partis depuis longtemps. Le tout respire l’abandon et la fiente de pigeons. Mais le volume est suffisant pour tenter de lui redonner un peu du lustre d’antan, avec le fruit de la vente à venir.

Le futur programme immobilier, encore suspendu à l’acceptation d’un permis et à une modification du plan local d’urbanisme, devrait mordre sur des terres agricoles. Car c’est là une autre des particularités de la bastide suisse des Charmerettes. Une partie de son domaine est encore une terre agricole fait de prairies et de champs cultivés. Des tomates finissent d’y rougir, sous l’œil avisé de Josyane Zurbuch. C’est son frère, Jean-Louis, qui gère la ferme depuis le décès de leur père en 1985.

Les serres où les fermiers démarrent le maraîchage et la ferme où vit la famille depuis les années 30.

Tomates et aubergines

“Je suis née là”, confie-t-elle avec un brin de nostalgie. Son père est arrivé en 1935 de Sainte-Marthe où sa famille était établie. Depuis la famille y fait du maraîchage. “Des tomates et des aubergines en été, des radis et des brocolis au printemps”. Des problèmes de santé ont obligé son frère à réduire les plantations. Dans la cour de la fermette où frère et sœur vivent ensemble, on se sent hors du temps. L’appentis qui sert de garage abrite encore la charrue et les harnais qui servaient au labour du temps de leur père. Elle dit ne pas être au courant des projets immobiliers de la fondation, si ce n’est par cet article et le tract confié par une voisine.

Pour l’heure, rien n’est vraiment tranché sur le devenir du lieu. Dans une maisonnette, au fond du domaine, vit aussi le fils âgé de la dernière cuisinière du foyer. Gardiens, paysans, tous ont l’impression de veiller sur un dernier bout de paradis dont le devenir est encore suspendu.

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Commentaires

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  1. Olivier.h Olivier.h

    Merci pour ces reportages, durant l’été, qui nous ont révélé, ou donné des nouvelles de ces bastides “disparues,” ou fantomatiques, qui étaient une spécificité de Marseille, il n’y a pas si logtemps!
    Bravo de vous être attaqués à un tel sujet!
    Danièle H.

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  2. Germanicus33 Germanicus33

    On apprend décidément beaucoup de choses sur Marseille…
    Et pas toujours bonnes comme la bétonisation de trop d’espaces verts!
    Félicitations pour la nouvelle mise en page.

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