La CGT du port jugée pour tentative d’escroquerie sur fond de rivalité syndicale
La sonnerie matinale du tribunal n’a pas encore retenti, mais la place du palais Monthyon est déjà inondée par la musique de la CGT, crachée à l’arrière d’une camionnette surmontée de drapeaux rouges. Il est 8 h 25. Une soixantaine de représentants syndicaux se sont donné rendez-vous ce mardi pour soutenir leurs représentants au sein du grand port maritime de Marseille (GPMM). Face à eux, pas d’adversaire FO à l’horizon, juste une poignée de policiers casqués et amusés par l’agitation.
Représentée par son secrétaire général Pascal Galéoté, la CGT du GPMM est jugée ce mardi pour “tentative d’escroquerie”. Avant de revenir sur les faits, le président de la 6e chambre du tribunal correctionnel adresse quelques mots au comité de soutien planté à l’extérieur. La sono a été coupée. Son caractère “festif” n’a pas plu au tribunal. “Il y a beaucoup d’audiences ici dans lesquelles, contrairement à vous, les gens ne viennent pas de gaité de cœur”, pose calmement le juge Pierre Jeanjean. La garde rapprochée de Pascal Galéoté s’installe en silence sur les bancs du public, prête à écouter le récit judiciaire d’une affaire qui a désormais dix ans.
La CGT est soupçonnée d’avoir produit de fausses attestations suite à une élection professionnelle tenue en 2013. Comme à son habitude, le syndicat était sorti vainqueur du scrutin. Mais selon le syndicat, la victoire aurait pu être encore plus nette car plusieurs salariés auraient été empêchés de voter. Fin novembre 2013, un recours est déposé devant le tribunal. Un mois plus tard, la CGT apporte aux magistrats 23 attestations de salariés du port. Tous affirment avoir été privés du scrutin, notamment en raison d’une défaillance du vote par correspondance.
Le recours est rejeté par deux fois, en première instance puis en cassation. Le syndicat n’a pas réuni suffisamment d’attestations pour espérer modifier le résultat du scrutin. C’est alors que son rival, Force Ouvrière, s’empare du dossier et porte plainte, estimant que les attestations étaient des faux. “Plusieurs attestations comportent des anomalies. Sur certaines, on retrouve la même écriture. Sur d’autres, les signatures ne correspondent pas. Il y a aussi des soucis d’orthographe, sur le nom et parfois même sur le prénom des salariés censés avoir écrit”, résume la vice-présidente du tribunal Stéphanie Donjon.
Durant l’enquête, 16 salariés sont auditionnés. “Certains reconnaissent avoir écrit une attestation, d’autres non. Un homme était même radié des listes à la date du scrutin, un autre explique avoir signé une lettre qu’on avait écrite à sa place…” Étienne C., par exemple, ne reconnaît ni son écriture, ni sa signature, ni avoir donné sa carte d’identité. Tout comme Frédéric B., qui précise même que la mention “affilié à la CGT” écrite sur “sa” lettre est “mensongère”. Au total, la magistrate estime que “dix attestations peuvent être considérées comme frauduleuses.” Dernier élément troublant : la CGT affirme avoir perdu les originaux de ces attestations. “Ce qui fait qu’aucune expertise sur l’écriture n’a pu être réalisée”, regrette Stéphanie Donjon.
Pascal Galéoté prend la parole pour la CGT. “On a eu un délai très court pour réunir ces attestations à l’époque. On n’est pas habitués aux procédures juridiques.” Un magistrat demande : “Vous reconnaissez que les attestations sont douteuses, mais vous dites que ce n’était pas intentionnel ?” L’élu acquiesce : “Notre seule intention, c’était de montrer que le droit de vote des salariés avait été bafoué. On ne voulait même pas modifier le vote ! On savait qu’il nous manquait dix attestations pour cela.”
Le représentant de la CGT ne sait pas qui a produit les fausses attestations. Il ne sait pas non plus qui a transmis les faux à la justice. Ni pourquoi ils ont ensuite été perdus. Il tente : “Ce sont nos avocats, certainement ?” En fin de procès, le président Pierre Jeanjean demande : “Vous n’avez donc pas fait de contrôle en interne pour savoir ce qui s’était passé ? Mais on est d’accord qu’aujourd’hui, cela se passerait différemment ?” Faute d’explication précise de Pascal Galéoté et vu l’ancienneté des faits, le processus précis qui a mené aux fausses attestations reste inconnu.
Le parquet s’estime “incapable d’identifier l’auteur de l’infraction”.
Pour le parquet, ces zones d’ombres compromettent toute possibilité de condamnation. “Est-ce que certaines attestations sont fausses ? Oui, c’est indiscutable. Mais qui a transmis ces faux à la justice ? Et cette personne avait-elle connaissance qu’il s’agissait de faux ? C’est cela la question”, estime le procureur Mathieu Vernaudon. Faute de réponse claire, le ministère public s’estime “incapable d’identifier l’auteur de l’infraction” et demande donc la relaxe de la CGT.
Quelques minutes plus tôt, l’avocat de Force Ouvrière avait demandé un euro symbolique en réparation, quand le budget annuel de la CGT du port est estimé par son représentant à 100 000 euros. Mais selon l’avocat Jérôme Pouillaude, “la vraie victime de ce dossier n’est pas FO, c’est la justice. Lorsqu’on est majoritaire comme la CGT, dans une situation de toute puissance sur le port, on ne peut pas produire des faux impunément”. En défense de la CGT, l’avocat Tom Bonnifay reconnaît que l’infraction est “grave”, mais involontaire. “En 2013, on fonctionne de manière artisanale, on n’est pas procédurier. Il n’y avait évidemment aucune volonté de tromper la justice.” Il plaide la relaxe “au bénéfice du doute”.
L’affaire est mise en délibéré. Dehors, le cortège CGT accompagne Pascal Galéoté, “18 ans de syndicalisme”, jusqu’à la camionnette aux drapeaux rouges pour une prise de parole. “On a fait valoir nos droits, pas toujours de manière académique mais toujours avec loyauté, pour défendre les travailleurs”, dit-il sous les applaudissements. L’élu dénonce un “acharnement” contre le syndicat, ose questionner la “coïncidence entre ce procès et le mouvement social contre la réformes des retraites”. Dans le tribunal comme dehors, il n’est jamais question de Force Ouvrière et pourtant, ce n’est pas la première fois que cette rivalité syndicale finit devant les juges.
En 2015, une bagarre avait éclaté entre les deux syndicats. La CGT avait eu “comme envie pressante de neutraliser une porte”, obligeant les délégués FO à faire un détour pour se rendre aux toilettes, lit-on dans le jugement rendu deux ans plus tard. Cette bousculade avait renvoyé Pascal Galéoté et deux comparses devant le tribunal pour “violences en réunion”. En mai 2017, une relaxe générale était prononcée pour cause de prescription. La rivalité est-elle enterrée depuis ? Pas si l’on se fie au ton employé par Pascal Galéoté, répondant à notre question : “À nous seuls, on représentent 66% des salariés. Donc un syndicat qui n’est pas représentatif, on se pose même pas la question de son existence.” Le jugement sera rendu le 3 avril.
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