Face à la fermeture de leur société, les livreurs de colis Amazon demandent des comptes

Reportage
le 17 Août 2022
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Une dizaine d'employés de Fast Despatch, sous-traitant d'Amazon, réclament le paiement de leurs salaires et la transparence sur leur avenir devant le site de Bouc-Bel-Air. La société, qui a cessé ses activités depuis le début du mois, laisse une centaine d'employés sur le carreau dans le département.

Une dizaine d
Une dizaine d'employés du sous-traitant d'Amazon, Fast Despatch Logistics, s'est rassemblée en août devant l'entrepôt de Bouc-Bel-Air. (Photo SL)

Une dizaine d'employés du sous-traitant d'Amazon, Fast Despatch Logistics, s'est rassemblée en août devant l'entrepôt de Bouc-Bel-Air. (Photo SL)

Passé la voie ferrée, dans la zone industrielle des Chabauds à Bouc-Bel-Air, une dizaine de personnes s’est rassemblée devant l’entrepôt d’Amazon. Ils distribuent des tracts au défilé de camions qui repartent en trombe. Leur employeur fait partie de la dizaine de sociétés sous-traitantes de ce dépôt du géant américain du commerce en ligne. Fast Despatch Logistics, a cessé ses activités depuis le 9 août et n’a toujours pas réglé les salaires du mois de juillet invoquant des difficultés financières. “Je suis à 250 euros de frais bancaires !“, lance un “dispatcheur” dont la mission est de réaliser les feuilles de route des chauffeurs. “Moi, j’ai dû annuler mes vacances“, ajoute une autre livreuse. D’autres mentionnent leurs enfants et leurs crédits.

Dans le département, la cessation d’activité de cette société britannique qui compte plusieurs sites en France, laisse un peu plus d’une centaine d’employés sans travail. Contacté, le manager des dépôts de Bouc-Bel-Air et de Marseille, Alex Kolfat, confirme les difficultés financières de l’entreprise. “Elle a des dettes à l’Urssaf, avec les employés, avec des garages et des gestionnaires d’autoroutes pour le paiement des péages“. Mais il ne souhaite pas communiquer davantage et affirme ne pas avoir “plus d’informations” sur les raisons de l’endettement. Les petites mains d’Amazon, elles, restent dans le flou sur leur avenir et espèrent que le géant mettra la pression à son sous-traitant.

Une semaine après cette annonce, Amazon a enfin réagi. “Nous ferons tout notre possible pour que leurs livreurs obtiennent les informations sur les postes disponibles chez d’autres partenaires de livraison d’Amazon”, indique le communiqué publié ce mardi 16 août. Le seul client de Fast Despatch précise avoir mis fin à son contrat avec l’entreprise : “Nous sommes intransigeants sur le fait que ces dernières [les sociétés sous-traitantes, ndlr] se doivent de respecter les lois en vigueur, ainsi que le code de conduite des fournisseurs Amazon”.

Plaquettes de freins usées et rétro tenu par du scotch

La communication de la multinationale ne s’étend pas sur les griefs. Du côté des salariés, bien avant la mobilisation déclenchée par le retard dans le paiement des salaires, les conditions de travail étaient critiquées. “Les camions n’avaient pas de direction, alors à 130 sur l’autoroute, ça fait peur !“, raconte Sohaib, un chauffeur de 25 ans. “Moi, j’ai perdu mon permis et ils me laissaient rouler quand même”, ajoute l’une de ses collègues.

Depuis le mois de juin, plusieurs chauffeurs, appuyés par la CGT locale, ont décidé d’utiliser leur droit de retrait. Un contrôle de l’inspection du travail a été réalisé le 13 juin dernier. Dans un courrier que Marsactu a pu consulter, les autorités relèvent plusieurs manquements. Sur les 41 véhicules présents sur le site, 25 véhicules potentiellement utilisés par les salariés ont été observés par les inspecteurs. Deux d’entre eux ont des plaquettes de frein “particulièrement usées”, dix n’ont pas le même type de pneus (hiver/été), un véhicule présente un rétroviseur fixé par du scotch quand deux autres véhicules ont des pare-chocs mal fixés, entre autres. Fast Despatch a également été mise en demeure d’installer des sanitaires en nombre suffisant sur ses sites.

Pour un “dispatcheur” de l’entreprise, si cette situation est précaire, la fin de l’activité est un “soulagement“. “Ça met fin à un calvaire. Les dirigeants qui n’ont pas de reconnaissance, c’est usant“, confie-t-il. Paul Michel, militant de l’union locale CGT des quartiers nord de Marseille, s’est récemment penché sur la situation de Fast Despatch. “Pourquoi elle ne tient pas le choc alors que les autres sous-traitants ? C’est assez incompréhensible, je ne connais pas le niveau des négociations avec Amazon“, indique-t-il. Pour lui, l’entreprise fonctionne de manière très “légère“, sans “investissements et immobilisation énormes“. “Ils n’utilisent que des outils gratuits comme Google Sheet et ne paient pas de licence. Les échanges, c’est que sur WhatsApp. Leurs locaux, c’est un parking en location“, égraine-t-il.

Groupe Whatsapp en surchauffe

Devant le dépôt du géant de la livraison à Bouc-Bel-Air, un piquet s’organise. “On ne bloque pas les livraisons, on ralentit. Aujourd’hui, on a des chauffeurs qui veulent travailler, mais qui ne peuvent pas. Ils sont perdus, c’est ingérable !“, déplore Sébastien, chauffeur-livreur, devant deux hommes employés d’Amazon. L’un d’eux est le remplaçant du directeur de site. Ils sont venus récupérer un tract pour faire lien avec la “DSP Team”, le service d’Amazon qui s’occupe des sous-traitants. “Nous, on a fait ce qu’on avait à faire, on a payé Fast Despatch. On va faire remonter les revendications aux services“, indique l’un d’eux.

Laghouat, Cogepart, Globe Express… autour du groupe réuni, les camions des autres entreprises repartent sans interruption du dépôt. Le rendez-vous a été donné sur un groupe Whatsapp réunissant presque 80 participants, dont certains sont des salariés de Nantes et Strasbourg. Les messages fusent toutes les minutes. Chacun se questionne sur ses droits et les procédures en cas de liquidation de l’entreprise. Sur place, ils hésitent un peu avant d’arrêter les camions et distribuer leurs tracts. Ils veulent “éviter les problèmes” mais sont en même temps déterminés à faire réagir la direction d’Amazon.

Flou sur le calendrier

Comme réponse à leurs interrogations, une note interne tombe ce même jour. Envoyée à l’ensemble du personnel par la responsable des ressources humaines de Fast Despatch, elle en surprend plus d’un par son contenu. L’essentiel est en effet consacré à détailler la marche à suivre pour démissionner. La présentation de la procédure de licenciement économique suite à une liquidation est elle plus succincte et très orientée. S’ils décident d’attendre un licenciement économique, la responsable met en garde que la “procédure est relativement longue pour une entreprise qui ne compte pas moins de 700 salariés comme la nôtre, elle pourra durer au moins 3, voire 4 mois en fonction des différentes étapes“. Concernant le retard du paiement des salaires, elle souligne de “fortes chances pour qu’un tel retard se répercute pour les salaires d’août également“.

En réalité, dès l’ouverture d’une procédure au tribunal de commerce, l’agence de garantie des salaires couvrirait les rémunérations de juillet et d’août en 1 mois environ. Les élus du comité social et économique (CSE) ont contacté l’inspectrice du travail de Bobigny, dans l’objectif d’accélérer les démarches de la liquidation judiciaire. Du côté de Bouc-Bel-Air, un dossier juridique pourrait se monter pour le non-paiement des salaires et du droit de retrait. Mais quel que soit le délai, l’attente risque d’être trop longue pour certains livreurs de Bouc. “Qui a les bons plans pour bosser au black ?“, envoie l’un d’eux sur le groupe Whatsapp.

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Commentaires

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  1. TINO TINO

    Ils veulent éviter les problèmes ! Mais les problèmes ne les évitent pas !! Et ceux qui en sont la cause n’ont ni pitié ni compassion. Cette absence de bons sentiments a bâti l’immense fortune de M. Bezos.

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Le fameux modèle “social” d’Amazon, qui pressure ses propres salariés dans ses entrepôts, et s’appuie sur des sous-traitants encore pires (sinon, il n’y aurait aucun intérêt à sous-traiter).

    Une entreprise qui a su se rendre indispensable, mais qu’il est civique d’éviter autant que faire se peut.

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