Aux Pennes-Mirabeau, Suez enfouit des déchets qui devraient être recyclés
Une nuée de mouettes survole une colline dégarnie. Elles guettent, avides, l’arrivée d’un camion. Lorsque la benne bascule, elles se ruent sur l’amas de détritus déversés là par le monstre mécanique. “Avant, ici, c’était un vallon, maintenant c’est une montagne, une montagne de déchets”, soupire Laurent Clément. Voilà 14 ans qu’il habite là, dans le lotissement Littoral II, au Jas de Rhodes, sur les hauteurs des Pennes-Mirabeau. Son immeuble se situe à quelques dizaines de mètres de “l’Ecopôle”, géré par l’entreprise Suez. Un terme aux sonorités vertueuses pour un site qui abrite, certes, un centre de tri et de recyclage de nos poubelles jaunes mais aussi et surtout une autre activité, beaucoup moins verte celle-là : l’enfouissement de déchets.
Dans le jargon administratif, on parle d’installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND). Entre 150 et 175 000 tonnes de déchets ménagers, industriels et même d’amiante sont “stockés”, ou plutôt enfouis, ici chaque année. Tous les déchets provenant du territoire de la métropole Marseille-Provence qui ne sont pas brûlés à l’incinérateur Évéré de Fos-sur-Mer ainsi qu’une partie de ceux du territoire d’Istres-Ouest Provence arrivent ici.
Si les riverains ont toujours vécu à proximité du site, les odeurs épouvantables de ces deux dernières années sont totalement inédites à leurs dires. “Cet été, on a vécu l’enfer. Tous les matins, il y avait une odeur de pourriture, de déchets macérés insupportable”, se souvient Stéphane Teissier, un autre habitant du lotissement. “Je vous laisse imaginer l’été 2020 en pleine période de confinement lorsque tout le monde était en télétravail et qu’on ne pouvait même pas ouvrir les fenêtres ou sortir sur la terrasse. Les gens sont devenus fous”, ajoute Laurent Clément, qui est aussi président de l’association syndicale des propriétaires Littoral II. Alors au mois d’août, comme l’été précédent, lui et plusieurs dizaines d’habitants du quartier se décident à bloquer l’accès au site.
“Suez a fini par nous recevoir pour nous expliquer qu’ils avaient obtenu un nouveau marché et augmenté le volume de déchets ménagers”, les plus odorants, détaille Laurent Clément. Contacté, le service communication de Suez assure que “la maîtrise des odeurs est un sujet prioritaire” et rappelle la mise en place d’actions spécifiques et citant pêle-mêle la mise en place d’une rampe anti-odeurs (produits neutralisants), le recouvrement des déchets en fin de journée avec du gravat et de la terre ou la réalisation de rondes par leurs équipes afin de surveiller “l’ambiance olfactive. “Et ils nous ont aussi dit qu’ils n’excluaient pas d’augmenter encore ce volume”, complète Laurent Clément.
Le site de stockage ne devrait accueillir que des déchets qui ne peuvent être ni recyclés ni valorisés.
Selon un arrêté préfectoral de 2019 encadrant les activités d’enfouissement du site, Suez est censé recevoir uniquement des déchets “ultimes”. Par déchets ultimes, on entend les déchets qui ne sont plus valorisables, ni par recyclage, ni par valorisation énergétique. Sont donc exclus les encombrants en tout genre, les matières plastiques recyclables, les emballages, le verre, etc. Si des transporteurs se présentent avec ce type de matériau, l’exploitant doit leur refuser l’accès.
Les habitants décident donc de mener l’enquête afin de savoir ce que l’on déverse à deux pas de chez eux. Pendant 6 mois, ils installent une caméra et filment le balai des camions qui vident leurs bennes sur place. Ce qu’ils découvrent les stupéfait : pare-chocs de voiture, pneus, matelas, planches à voile, et même, bouteilles de gaz sont déversés là, ni vu ni connu. Parfois même par des bennes labellisées “Suez”. Des images dévoilées dans Zone Interdite diffusée par M6 ce dimanche soir.
“Bois, placo, caoutchouc : ils jettent tout en vrac, ils s’en foutent complètement”, s’énerve un autre habitant du quartier qui souhaite rester anonyme. “On n’arrête pas de nous demander de trier, de mettre dans les bacs verre ou emballages… Et eux balancent tout et n’importe quoi. Quand je vois ça, ça me fout en colère”, explose Stéphane Teissier. D’autant que si les riverains découvrent ces manquements, il y a fort à parier qu’ils ne sont pas nouveaux.
De son côté, Suez rappelle que “la responsabilité d’un déchet incombe à son producteur ou détenteur”. Concernant la réception de déchets non-autorisés, l’industriel assure “qu’en cas de non-conformité du déchet reçu avec celui annoncé, nous alertons sans délai le producteur ou la collectivité en charge de la collecte ou le détenteur du déchet. Le chargement peut alors être refusé, en partie ou en totalité”, sans préciser si des camions ont déjà été renvoyés.
En 2014, dans le cadre d’une demande d’autorisation à poursuivre l’activité sur le site, une enquête publique avait été menée. Le commissaire-enquêteur relevait déjà les difficultés à s’assurer de la nature des déchets déversés et rendait un avis négatif. Avis cassé par la préfecture qui est passée outre et a autorisé la poursuite de l’activité. “À quoi ça sert d’interroger les gens pendant des mois puis de s’asseoir dessus ?”, fait mine de s’interroger Stéphane.
Par ailleurs, le site a l’interdiction de recevoir des déchets ménagers autres que ceux des “seules communes du bassin de vie provençal”. La provenance géographique du recyclage est, elle, limitée aux “seules communes de la région”. Les habitants relèvent pourtant que les camions arrivant sur le site sont souvent immatriculés en Espagne, en Lituanie ou aux Pays-Bas. “Suez nous répond que cela ne veut pas dire que ces camions viennent forcément de là-bas. Mais qu’on nous le prouve dans ce cas”, détaille Laurent Clément. Dans sa réponse au commissaire-enquêteur en 2014, Suez expliquait : “Les seuls camions immatriculés à l’étranger fréquentant le site sont ceux des transporteurs qui viennent récupérer les matières recyclables. […] En aucun cas, des déchets provenant de l’étranger ne peuvent être réceptionnés sur le site”.
À l’étranger non, mais en dehors du département, oui. En 2016, la préfecture a mis en demeure Suez pour avoir reçu des déchets en provenance d’autres départements que des Bouches-du-Rhône, sans plus de précision sur l’origine de ces transporteurs.
Une colère d’autant plus dure à avaler pour les habitants qu’on leur a longtemps assuré que le site fermerait ses portes en 2022. “On savait où on achetait quand on est arrivés en 2007 mais l’acte notarié précisait bien que la date de fin d’exploitation de la décharge était fixée à 2022″, se remémore Stéphane Teissier. Dans les colonnes de La Provence, Vincent Borel, directeur régional délégué de Suez assure : “Il s’agissait d’une date de fin administrative et non une date de fin technique. On n’a jamais dit à personne que le site fermerait définitivement.”
Le site vu du ciel via Google Earth de 2002 à 2020
Dans un rapport d’inspection de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) daté du 19 juin 2018, il est mentionné : “au rythme actuel de remplissage, le site sera plein fin 2019″. Alors, pour continuer à enfouir des déchets sur le site, l’industriel a effectué une demande d’extension de la zone d’enfouissement auprès de la préfecture. Extension acceptée par les services de l’État en octobre 2019 pour une poursuite d’exploitation annoncée jusqu’à 2030.
La préfecture se veut rassurante et pointe plutôt des “anomalies en matière de tri” en amont.
“Pourquoi le préfet a-t-il autorisé cette extension alors que les conditions initiales d’exploitation ne sont pas respectées ?”, interroge un autre habitant qui souhaite rester anonyme. Contactée, la préfecture des Bouches-du-Rhône précise : “En 2020, le site a fait l’objet de quatre visites d’inspection, et de cinq visites à ce jour en 2021. Ces visites, dont certaines réalisées de manière inopinée, n’ont pas mis en évidence d’apports de déchets d’origine non autorisée, mais il a pu être constaté la présence de déchets non ultimes ou, plus ponctuellement, de déchets interdits”. Pour la préfecture, c’est aussi le “témoin d’anomalies en matière de tri par les producteurs”.
Afin d’étendre la zone d’enfouissement, Suez prévoit donc de… dynamiter la colline. Des tirs de mine quotidiens sont prévus pour une durée de 6 mois. “On nous a prévenus par courrier en nous expliquant qu’un huissier allait passer dans chaque maison afin de vérifier les fissures avant/après les explosions”, se désespère Laurent Clément et de conclure : “On est reparti pour 10 ans, et dans 10 ans, ils remettront ça… Tant qu’ils n’auront pas rempli tout le vallon, ils continueront”.
Aix-Marseille, bon dernier sur le triPour diminuer le volume de déchets, il va falloir mieux trier. Dans son rapport sur la gestion des déchets de la métropole Aix-Marseille publié récemment, la Chambre régionale des Comptes fait le point sur les difficultés de la Métropole en la matière. Avec une performance moyenne de 23 kg de matières recyclées par habitant et par an en 2017, contre 35 kg/hab./an pour la région PACA et 47 kg/hab./an pour la France, la Métropole Aix-Marseille fait pâle figure. “De nombreuses communes de la métropole Aix-Marseille-Provence sont en-dessous de la moyenne nationale, comme le montre une carte (cliquez ici pour la voir), représentant les performances de collectes en 2017. Au sein de la Métropole, seule une infime minorité de communes parvient à se hisser au niveau national et Marseille plafonne à 15kg/hab/an… Dans les années à venir, la Métropole a fixé des objectifs chiffrés : 28,1 kg/hab./an pour 2025 et 36,1 kg/hab./an pour 2030, toujours 11 points en-dessous de la moyenne nationale de 2017…
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