Au cœur de la mécanique des fausses procus, Julien Ravier n’a rien su, rien vu, rien entendu

“La responsabilité de la campagne, elle est administrative ou politique ?” Face à la question d’un avocat, Julien Ravier hésite un temps : “Elle est propre à chacun”, évacue l’ancien maire Les Républicains des 11e et 12e arrondissements. Pendant ce deuxième jour du procès des procurations frauduleuses de la droite dans deux secteurs de Marseille durant la campagne des élections municipales 2020, les débats se centrent sur les 11e et 12e arrondissements et se resserrent sur la figure, incontournable, de la tête de liste, Julien Ravier. Donnant soudain aux débats la dimension politique qui sous-tend les diverses affaires dont la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire est saisie.

Jusqu’à la fin de la semaine, à la caserne du Muy, treize prévenus, dont Julien Ravier fait partie, sont convoqués devant la juridiction pour des faits relevant des qualifications de faux et usage dans un document administratif et manœuvre frauduleuse tendant à l’exercice irrégulier d’un vote par procuration.

Pour être valide, une procuration réclame un mandant (la personne qui ne peut voter) et un mandataire, qui ira donc voter à sa place. La procuration doit ensuite être validée en personne par un officier de police judiciaire ou un “tiers délégué”, qui assure le recueil des procurations lorsque la personne ne peut se déplacer sur la foi d’un certificat médical.

Mélange des genres

Or, comme il est rappelé à longueur d’audience, dans les 11e et 12e début 2020, 112 procurations, auxquelles s’ajoutent 51 dans un Ehpad de Saint-Barnabé, réalisées par l’équipe de campagne du sortant, apparaissent litigieuses. Dans le staff du maire, on parle pudiquement de “procurations simplifiées”. Aux yeux de la justice, qui a déjà sanctionné Julien Ravier et deux colistières en 2022 tout en maintenant le résultat de l’élection, elles sont illégales. Les mandants n’ont pas eu à se déplacer, un envoi de copie de carte d’identité a suffi. Leur signature a ensuite été imitée sur place. À l’hôtel de ville des 11/12, dans le bureau de la directrice générale des services, Claudine Hernandez.

Mais ce qui trouble là, outre l’aspect industriel de la collecte des procurations, c’est bien ce curieux mélange des genres auquel se livre l’équipe de campagne de Julien Ravier, la tête de liste — “co-tête de liste, car je menais la liste avec [la sénatrice LR] Valérie Boyer”, juge-t-il bon de rectifier régulièrement. Ainsi, Joëlle Di Quirico, comme Valérie Deconi, agentes administratives de la mairie de secteur, admettent-elles, questionnées par le président Pascal Gand, qu’elles passaient l’essentiel de leurs journées à cette mission.

J’étais à temps complet sur les procurations

Joëlle Di Quirico, agente à la mairie des 11/12

Cette usine de fabrication de votes en faveur de la liste Les Républicains requiert du personnel. “J’étais à temps complet sur les procurations”, dit la première secrétaire. “Moi, c’était la même chose”, embraye la seconde. Angélique Bernard est assistante, elle aussi. Rattachée au cabinet du maire, elle a adhéré aux Républicains à son arrivée à la mairie en 2017 : “On me l’a fortement conseillé, […] le cabinet parlementaire de madame [Valérie] Boyer.” Comme Joëlle Di Quirico et Valérie Deconi, elle remplit des formulaires Cerfa de procurations et fait du phoning pour dénicher des mandataires.

“Répréhensible”

Pascal Gand s’étonne du temps important consacré en mairie sur ces missions. “Est-ce que le tribunal est saisi de toutes les procurations ou est-ce qu’il y en a qui nous échappent ?”, interroge le président. Valérie Deconi ne sait pas. Julien Ravier reconnaît que “cela paraît beaucoup de temps passé” et confie trouver “cela répréhensible”.

 Est-ce que c’est le rôle de la mairie d’organiser la campagne des Républicains ?

Pascal Gand, président de la 6e chambre

Voilà qui pose sans détours la question de l’engagement d’agentes administratives de la Ville dans une campagne électorale, de longs mois durant, sur leur temps de travail de fonctionnaires territoriales. “Est-ce que c’est le rôle de la mairie d’organiser la campagne des Républicains ?”, demande le président, cette fois à Julien Ravier. “Non”, convient ce dernier, pour qui “il y a eu un détournement de leur mission de service public à certains instants” de la part de certains agents.

Pourtant, Julien Ravier ne sait rien. Il est au cœur de tout. C’est la figure vers qui tout converge, puisque tête de liste — ou co-tête de liste, c’est selon — mais il n’a rien vu, rien su, rien entendu. Les procurations réalisées de manière frauduleuse dans l’Ehpad Résidence Saint-Barnabé, il dit les découvrir dans la presse le 14 juin 2020. Dans un article du Journal du dimanche qui le fait “bondir.” La démarche d’aller collecter des procurations dans une élection qui s’annonce très serrée et perturbée par le Covid-19 ? Elle est la “pleine et entière responsabilité” de Richard Omiros, son directeur de campagne et directeur de cabinet à la mairie de secteur. Il regrette même de ne pas avoir déposé plainte contre lui. L’organisation des équipes ? Il renvoie vers la DGS, Claudine Hernandez. Deux prévenus sur lesquels il est confortable de se délester, puisqu’ils sont absents des débats pour raisons de santé, tout comme le commandant de police Roland Chervet, qui validait les procus.

Sa défense : charger les autres

Les mails dont Julien Ravier est destinataire, comme Valérie Boyer, laissent pourtant peu de place au doute. Comme celui daté du 16 janvier que leur adresse Richard Omiros : “Vous trouverez ci-joint la liste des résidents de la maison de retraite de Saint-Barnabé. Suite à mon rendez-vous avec le directeur, il met à disposition le listing des résidents pour les procurations.” La marge pour l’ambiguïté est mince, comme le souligne le président Gand.

Un DGS et un directeur de cabinet arrivent à orienter les décisions d’un maire

Julien Ravier, ancien maire LR des 11/12

Mais Julien Ravier l’assure, il n’a pas lu ce mail. Il en reçoit tellement, il ne lit pas tout. Tout au long de la journée, il creuse le même sillon de défense : charger les autres, Richard Omiros en tête. Au risque de chercher à se faire passer pour victime. “Un DGS et un directeur de cabinet arrivent à orienter les décisions d’un maire”, tente-t-il. À l’entendre, du temps de son mandat, c’est tout juste s’il a des responsabilités à la mairie de secteur. Pour les aspects politiques et les actions de terrain, c’est en fait Richard Omiros qui tient la barre. Quant à la gestion de l’administratif, elle revient à Claudine Hernandez, directrice générale des services, dont il fait même “la patronne de la mairie” — cette dernière, qui est encore en poste comme DGS auprès de l’actuel maire de 11/12, Sylvain Souvestre (LR), n’est pas présente au tribunal, mais elle l’était, en mairie de secteur, mercredi dernier, lors du conseil d’arrondissements.

Le bureau de Claudine Hernandez — où sont ratifiées de nombreuses procurations litigieuses —, Julien Ravier y va “très peu”, affirme-t-il à la barre dans sa veste bleu marine. Et quand il s’y rend, il n’y constate “en aucune façon une activité ou une irrégularité particulière”. Assise juste derrière lui, avec les autres prévenus, Joëlle Di Quirico hoche la tête en signe de dénégation.

Emoji clin d’œil

Quel intérêt avait donc Richard Omiros à déployer autant d’efforts dans la collecte des procurations, si ce n’est pour le bénéfice de la liste Les Républicains du secteur et de leur leader ? Julien Ravier y voit une façon pour Omiros “de briller” à ses yeux, à ceux de Valérie Boyer ou de Martine Vassal en apportant des voix. En somme, c’est “un collaborateur qui a fait du zèle pour vous impressionner ?”, interpelle, avec un soupçon d’ironie, Xavier Pizarro, avocat de plusieurs parties civiles. “C’est exactement ça.”

Des échanges, sur une messagerie WhatsApp, sont projetés sur écran durant les débats. Ils sont glaçants. Plusieurs textos de Sylvain Souvestre, avec un emoji “mort de rire”, ont trait aux décès dans les maisons de retraite du fait de l’épidémie de Covid-19 qui fait rage. “Les Ehpad ont pris cher”… “Mais j’ai l’impression que ceux où on a des procus moins que les autres”, répond Julien Ravier, qui ponctue ce deuxième message d’un emoji “clin d’œil”. Un avocat le chahute un peu : cet émoji n’est-il pas le signe d’une complicité ? S’il évoque la “blague de mauvais goût” de Sylvain Souvestre, son smiley clin d’œil signifie juste : “On a de la chance, car dans les endroits où on a des procurations, on a eu moins de décès.”

“Les lampistes trinquent”

Julien Ravier le martèle, il n’a “donné aucune instruction” à ses troupes pour collecter ou faire réaliser des procurations illicites. Les autres sont plus facilement responsables, mais “le bénéficiaire, c’est plutôt vous”, pique le président Gand. C’est vrai, admet l’ex-maire de secteur. Toute la question est là, qui revient de loin en loin dans la bouche d’un avocat : à qui profitent ces moissons de procurations ? “Dans vos réponses, vous pointez toujours du doigt les subalternes, alors que vous êtes le donneur d’ordre et le bénéficiaire”, cogne Claude Deboosere-Lepidi, le conseil de Richard Omiros. Le même regrette que “seuls les lampistes trinquent”.

Il faut que les petites mains finissent par parler. Car j’ai le sentiment qu’on ne connaît qu’une partie de la vérité.

Robert Assante, partie civile

Robert Assante, ancien maire de ce secteur, tête de liste divers droite dans les 11/12 en 2020 et partie civile dans ce procès, ne dit pas autre chose : “Il faut que les petites mains finissent par parler. Car j’ai le sentiment qu’on ne connaît qu’une partie de la vérité.” À la barre, le dissident fustige ce maire sortant “qui ne sait rien, ne voit rien, ne connaît rien !” Mais, grinçant, il renvoie au visionnage d’une vidéo, diffusée par Marsactu le 17 juin 2020. On y voit Julien Ravier imposer au président d’un bureau de vote d’accepter les procurations qu’il apporte. “Regardez cette vidéo. Son directeur de campagne est à côté, il ne dit rien. [Julien Ravier] est le seul à parler, le seul à s’énerver”, reprend Robert Assante.

Yannick Ohanessian (PS), lui aussi partie civile, est présent à la fin de ce deuxième jour d’audience. Actuel adjoint au maire chargé de la sécurité, il emmène la liste du Printemps marseillais face à celle de Julien Ravier en mars et juin 2020. Il constate au premier tour l’arrivée “massive” de procurations apportées le jour même, dès l’ouverture, par des élus ou des sympathisants LR du secteur. Des documents “illisibles, présentant des irrégularités, des adresses similaires, des noms similaires, des photocopies mal reproduites…” Convaincu que cela a “impacté le résultat final”, il assure au tribunal : “Dès le premier tour, on a su qu’on faisait face à un système bien rodé.”

Après avoir quitté la barre, il s’étonne comme Robert Assante que des élus, alors très impliqués dans la campagne des Républicains, ne soient pas, comme le maire sortant, convoqués devant la 6e chambre. Sylvain Souvestre, Valérie Boyer et Martine Vassal ne sont pas nommés. Des absents très présents dans les esprits. Qui sait s’ils auraient offert plus de lumière sur ces affaires que Julien Ravier ?

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