Vanessa Di Paola : « Des difficultés d’accès à l’emploi plus importantes en région Sud »

Billet de blog
par Le Sonar
le 23 Oct 2018
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Selon une étude délivrée par la région Sud, près d’un jeune sur quatre est sans diplôme et la part des jeunes non insérés atteint 30,5% contre 25,5% en moyenne régionale. Vanessa Di Paola, docteur en sciences économiques à l’université d’Aix-Marseille, est spécialiste d’économie et de sociologie du travail. Elle fait le point sur les difficultés d’accès à l’emploi dans la région.

Vanessa Di Paola : « Des difficultés d’accès à l’emploi plus importantes en région Sud »
Vanessa Di Paola : « Des difficultés d’accès à l’emploi plus importantes en région Sud »

Vanessa Di Paola : « Des difficultés d’accès à l’emploi plus importantes en région Sud »

Comment l’offre de formation est-elle répartie au sein de la région PACA ? Quels sont les impacts de cette répartition sur les habitants ? 

 

« Le territoire de la région est étendu. Certains espaces privilégient le tourisme, notamment sur la Côte d’Azur. Pour les jeunes, cela représente des emplois nombreux mais précaires et saisonniers.  D’autres territoires sont plus difficiles d’accès et donc pauvres en termes de formation. C’est le cas des régions montagneuses. Dans les Alpes du sud ou l’arrière-pays varois, on parle d’espaces enclavés. Cela engendre des dynamiques sectorielles différenciées. Les populations n’ont pas toutes accès à une offre de formation variée. Certains publics sont plus favorisés que d’autres. 

 

Avez-vous un exemple de ce phénomène ? 

 

Il se retrouve notamment à Marseille où certains quartiers sont très défavorisés. Il existe des barrières sociales et culturelles importantes qui freinent l’accès à la formation de ces populations par rapport à d’autres plus favorisées. Mais comparée au reste du territoire français, il n’en reste pas moins que la région souffre d’un déficit de formation. C’est l’un des principaux freins dans la dynamique d’accès à l’emploi des populations locales. »

 

Des travaux révèlent que le niveau d’étude dans la région est plus bas que la moyenne nationale. A quels mécanismes ce phénomène est-il lié ? 

 

« Pour certaines populations, il existe un cumul de difficultés pour accéder à l’emploi et à la formation. En effet, dans les quartiers défavorisés le contexte d’apprentissage est plus difficile. Dès l’école primaire le lien est rompu. Il existe des établissements très délabrés, principalement dans les quartiers nord de Marseille. Pour les jeunes, le message, c’est qu’ils ne valent pas le coup d’avoir une école digne de ce nom. Cela produit un sentiment de défiance envers les institutions. Le contexte n’est pas favorable à la poursuite d’études. En conséquence, le décrochage scolaire est plus important dans cette région que sur le territoire national. Les jeunes sont découragés et renoncent plus facilement face aux difficultés. »

 

Pourtant tous les jeunes des quartiers défavorisés ne décrochent pas à l’école. Comment expliquer qu’ils puissent malgré tout rencontrer des difficultés d’insertion professionnelle ? 

 

« Un grand nombre de jeunes issus de classe ouvrière ou moyenne poursuivent des études après le BAC. Mais avec un BAC + 2 en poche, ils ne peuvent pas rivaliser sur le marché de l’emploi avec des enfants de cadres qui ont obtenu un master ou un doctorat. Il y a un phénomène de reproduction sociale qui fait que les jeunes issus de territoires et classes sociales moins favorisés n’ont pas les mêmes chances d’accès à l’emploi. En région PACA, il y a une forte population d’ouvriers et d’employés, ce qui peut être l’une des causes du faible niveau de formation des jeunes. En comparaison, en région parisienne, il y a une forte proportion de cadres et de diplômés de master ou doctorat. » 

 

D’autres mécanismes entrent-ils également en jeu ? 

 

« En effet, dans la région, il existe un autre phénomène très important, celui des stéréotypes. Des idées préconçues sur les populations des quartiers défavorisés freinent leur accès à l’emploi. A niveau d’étude égal, la situation géographique d’origine peut être un avantage ou un handicap. Malgré tout, il y a des initiatives qui sont prises par certaines entreprises pour lutter contre ces inégalités. Mais elles restent encore insuffisantes. »

 

Est-ce que les politiques publiques locales tendent à rééquilibrer ces inégalités face à l’emploi et à la formation ? 

 

« Il y aurait beaucoup à faire en termes de lutte contre les discriminations et d’égalité d’accès à la formation. Pour prendre l’exemple de Marseille, on observe que les moyens octroyés aux étudiants ne sont pas tous les mêmes. Par exemple, dans les bâtiments de la faculté d’économie et gestion, les étudiants de licence, qui peuvent venir de quartiers défavorisés, doivent cohabiter avec des migrants qui y trouvent refuge. Une rixe au couteau y a éclaté il y a quelque temps… Les locaux ne sont pas rénovés. Alors qu’au contraire, les étudiants de master ont accès à l’ilot Bernard Dubois, un bâtiment plutôt luxueux et bien équipé. Mais rares sont les étudiants issus des quartiers difficiles qui accèdent au master. De même, la ville a autorisé une école privée, Kedge, à s’installer sur un site exceptionnel, près des Calanques. Ce ne sont que des exemples, mais tout cela tend à renforcer les inégalités de départ. Une partie de la population ne se sent pas reconnue et développe un sentiment de défiance envers les institutions. » 

 

L’insertion dans le marché du travail peut-elle avoir des répercussions sur l’orientation politique ? 

 

« Les difficultés d’accès à l’emploi sont en partie liées aux politiques publiques. Il faut également souligner que le manque de formation et les inégalités influencent l’orientation politique. Parce qu’elles ne pensent pas que le marché du travail leur laissera une chance, les populations défavorisées ont tendance à se tourner vers l’abstentionnisme ou vers le vote extrême, qu’il soit de droite ou de gauche. Ces populations représentent une masse électorale très importante, d’où l’intérêt que trouvent certains partis politiques à flatter ce sentiment de défiance. Sans parler du phénomène de clientélisme, encore très présent à Marseille. »

 

 

Propos recueillis par Camille Nowak et Sophie Maréchal

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